Les jours qui suivirent cette apparition laissèrent Favre dans un état d'épuisement nerveux. Les nuits, parsemées de cauchemars, prenaient la forme d'une descente lente et inexorable dans une obscurité plus profonde qu'il ne l'aurait cru possible. Les murmures des ténèbres s'étaient insinués dans son esprit, tels des filaments de brume. Les visages rencontrés au quotidien semblaient désormais masqués par une pâleur, une expression de terreur à peine dissimulée. Il était incapable de savoir si son imagination détraquée projetait ces ombres autour de lui ou si elles avaient réellement infecté la ville.
Un matin, alors qu'il se rendait à pied au commissariat, il perçut un silence anormal dans les rues habituellement animées. La ville elle-même semblait retenir son souffle. À chaque coin de rue, il avait l'impression d'être suivi. Des ombres apparaissaient dans le coin de son champ de vision, disparaissant dès qu'il tentait de les fixer. Une sueur froide perla à son front, mais il se força à avancer, tentant d'ignorer les battements de son cœur qui résonnaient jusque dans ses tempes.
Au commissariat, une nouvelle énigme l'attendait : deux nouveaux cadavres avaient été découverts, portant les mêmes marques de mutilations et de gravures sur leur peau. L'un des officiers, le jeune Marcel, semblait particulièrement bouleversé par cette affaire. Les yeux cernés, il approcha Favre d'un pas hésitant.
- Commissaire, murmura-t-il en évitant son regard, je... Je crois que je deviens fou. Depuis que j'ai vu ces corps... il y a quelque chose dans l'air, comme si ces meurtres... attiraient une présence. Je sens des choses autour de moi, des ombres qui murmurent des choses incompréhensibles.
Favre, incapable de lui offrir une consolation sincère, lui posa une main lourde sur l'épaule. Ce qu'il ressentait lui-même surpassait tout ce qu'il pouvait exprimer. Ils étaient tous les deux piégés dans une enquête qui les dépassait, une enquête où la logique et la raison n'avaient aucune prise. Pour chaque mystère résolu, un autre s'ouvrait, plus sinistre et insondable.
Malgré l'angoisse qui l'étreignait, Favre savait que le seul moyen de trouver la vérité était de replonger dans le Liber Tenebrarum, ce livre antique qui l'aspirait toujours plus dans les abysses. Il avait espéré qu'une simple lecture suffirait à percer les mystères du Cercle de l'Abysse, mais la réalité était bien plus complexe. Ce livre était comme un piège, chaque page renfermant un mal ancien, chaque ligne imprégnée de secrets qui semblaient grignoter sa santé mentale.
Ce soir-là, enfermé dans son appartement, il entama une nouvelle lecture du texte, cherchant des indices dans les passages sibyllins. Les lignes devenaient floues sous ses yeux fatigués, les mots s'entremêlant, formant des symboles mouvants comme les tentacules d'une créature étrangère. Il tomba sur un passage évoquant les "Portes des Abysses", des lieux où la réalité humaine s'effilochait, offrant un point d'entrée pour des entités d'un autre plan.
Dans ce même chapitre, une incantation complexe, écrite dans un dialecte qui n'appartenait à aucune langue connue, se présentait comme une clé, un rituel que les membres du Cercle de l'Abysse réalisaient pour appeler les Enfants de Nyro'thul. Pris de vertige, Favre réalisa que la chapelle abandonnée où il avait vu la statue pouvait être un de ces points d'accès.
L'idée de retourner en ce lieu maudit le paralysa un instant. Mais il savait que, pour mettre fin à cette influence néfaste, il devait affronter ses peurs. Il prit une profonde inspiration et se convainquit que la raison devait l'emporter. Armé de son pistolet et d'une lampe, il se mit en route, plongeant une nouvelle fois dans les profondeurs des ténèbres.
Quand il atteignit la chapelle, l'air était glacé, presque irrespirable, saturé d'une odeur métallique. Les murs suintaient de moisissures noires, et un silence oppressant régnait. Au centre de la chapelle, la statue informe de Nyro'thul l'attendait, plus menaçante que jamais. Sa surface luisait comme si elle était recouverte d'une substance vivante, et l'étrange regard multiple semblait suivre chacun de ses mouvements.
Soudain, un bruit sourd résonna dans les profondeurs du sol. C'était comme si la terre elle-même battait au rythme d'un cœur colossale et malade. La pièce tout entière vibrait, et des fissures commencèrent à se dessiner sous ses pieds, s'ouvrant sur une obscurité insondable.
C'est alors qu'il les vit. Des silhouettes difformes émergeaient des coins les plus sombres de la chapelle. Des formes humanoïdes aux membres tordus, aux yeux aveugles, des créatures qui semblaient faites de la même substance que la statue. Elles rampaient, leurs membres s'étirant et se rétractant avec une fluidité cauchemardesque, tout en psalmodiant des phrases incohérentes, d'une voix rauque et sifflante.
Favre, pétrifié, tenta de reculer. Mais il était comme emprisonné, figé sur place par une force invisible. L'une des créatures, plus grande et plus menaçante que les autres, s'approcha de lui, son visage une caricature de traits humains distordus par la douleur. Elle ouvrit une bouche édentée et murmura :
- Nyro'thul t'attend... Commissaire... tu as déjà franchi la première porte...
Favre sentit un frisson glacial envahir son être, comme si un voile était arraché, révélant une réalité plus sinistre que ce qu'il aurait jamais pu imaginer. Des souvenirs qu'il n'avait jamais vécus s'imposèrent à lui, des images de villes englouties, de créatures flottant dans les ténèbres de mondes oubliés. La créature poursuivit, avec une lenteur macabre :
- L'abîme t'a marqué... tu ne peux plus échapper à la volonté de l'ombre.
En cet instant, Favre sentit un lien intangible s'établir entre lui et cette entité. Une étrange connexion mentale qui lui faisait percevoir des vérités effrayantes, des visions de mondes où la matière elle-même semblait vivante, tordue sous le poids de forces invisibles. Il réalisa alors qu'il ne pouvait se détacher de cette enquête. Cette secte n'était pas qu'un simple culte. Ils étaient les gardiens d'un savoir interdit, d'un chemin qui ne menait qu'à l'anéantissement.
Dans un ultime effort, il parvint à dégainer son pistolet. Il pointa l'arme vers la créature qui se trouvait devant lui et tira. Le coup de feu résonna comme une explosion, et la créature se dissipa dans un nuage d'ombres mouvantes. D'autres ombres reculèrent, comme effrayées par le bruit, et Favre en profita pour se précipiter hors de la chapelle. Il courut à en perdre haleine, luttant pour échapper aux ténèbres qui semblaient vouloir le happer.
Une fois dehors, il s'effondra, ses mains tremblantes de terreur. Mais il savait que rien ne serait plus comme avant. La chapelle, le Liber Tenebrarum, la présence obsédante de Nyro'thul, tout cela n'était que l'avant-goût d'un mal plus profond. Il comprit que ce n'était pas seulement un lieu qu'il avait laissé derrière lui, mais aussi une part de lui-même.
Il leva les yeux vers le ciel noir, et dans les nuages, il crut distinguer des formes mouvantes, des entités tapies dans l'ombre, patientes. Car Favre le savait désormais : les ombres avaient trouvé leur marque.
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L'Ombre de Nyro'thul
HorrorLorsque le commissaire Favre est chargé d'enquêter sur une série d'homicide liées à un culte occulte, il découvre une secte vénérant une entité cosmique, Nyro'thul, dont les murmures s'insinuent dans son esprit. Pris entre la folie et une réalité in...