Favre se redressa, le poignard de cérémonie tremblant dans sa main, son bras tendu dans un geste incertain vers Marcel. Le jeune homme, figé par la peur et l'incompréhension, le regardait, ses yeux écarquillés exprimant à la fois la stupeur et une lueur de compassion que Favre n'avait jamais observée chez personne depuis des mois. Ce dernier éclat d'humanité dans le regard de son compagnon fit vaciller un instant le commissaire, mais déjà, dans les recoins sombres de son esprit, Nyro'thul s'insinuait, étirant ses griffes insidieuses.
Les membres du Cercle de l'Abysse, rassemblés en silence tout autour d'eux, attendaient, leurs yeux scintillants d'une lueur malsaine, témoins silencieux de la lutte intérieure de Favre. Le prêtre masqué s'avança d'un pas, tendant une main vers lui, comme pour l'encourager à achever le rituel.
— Ne résistez plus, commissaire. Embrassez le destin que Nyro'thul vous offre, et votre esprit trouvera la paix.
Favre sentit le poids de cette offre se refermer sur lui comme un étau glacé. Au fond de lui, une part de lui-même savait que ce choix le lierait irrémédiablement à cette entité, mais la promesse de soulagement était plus tentante que jamais. Sa main se resserra autour du manche du poignard, et d'une voix brisée, il murmura :
— Je n'en peux plus... cette voix, ces visions... faites-les taire.
Le prêtre inclina la tête avec satisfaction et lui murmura une litanie dans une langue inconnue, des mots distordus qui, bien qu'inintelligibles, résonnaient étrangement dans l'esprit du commissaire. Au fur et à mesure qu'il écoutait, Favre sentit son esprit sombrer dans une transe, comme si l'abîme s'ouvrait tout grand sous lui pour l'accueillir.
Mais soudain, une autre voix, faible mais déterminée, perça ce voile de ténèbres.
— Commissaire... réveillez-vous... Ce n'est pas vous. C'est cette chose... elle vous manipule. Je vous en prie, revenez.
C'était Marcel, son regard fixé sur lui avec une intensité désespérée, essayant de raviver la part d'humanité qui subsistait encore en lui. Ces mots, prononcés avec une telle conviction, eurent l'effet d'un coup de tonnerre dans l'esprit de Favre. Il cligna des yeux, ses mains tremblantes, et sentit l'horreur de la situation se dresser devant lui.
C'était là la dernière lutte entre sa volonté et celle de Nyro'thul. Il ne pouvait pas, il ne devait pas céder. Il jeta un regard autour de lui, sur les silhouettes encapuchonnées, sur les fresques horrifiques recouvrant les murs, et enfin sur le prêtre masqué, qui le dévisageait d'un air interrogateur. Favre comprit qu'il ne pouvait sortir indemne de cet endroit, mais qu'il pouvait encore empêcher le mal d'engloutir sa propre âme.
Dans un ultime sursaut de lucidité, il s'élança, poignard en main, non pas vers Marcel, mais vers le prêtre. Le coup fendit l'air et transperça la chair, un cri perçant résonna dans la salle tandis que le masque de pierre se fissurait. Une lueur de rage se refléta dans les yeux du prêtre, et le sol sembla se dérober sous leurs pieds. Favre sentit une vague d'énergie noire déferler autour de lui, l'enveloppant dans un tourbillon de hurlements et de ténèbres.
Les disciples reculèrent, terrifiés par la chute de leur maître, et le cercle se brisa, créant une ouverture. Profitant de la confusion, Favre saisit la main de Marcel et le tira hors de la salle maudite, fuyant à travers les couloirs sombres des catacombes. Derrière eux, des cris de rage et des murmures anciens résonnaient, les poursuivant dans l'obscurité.
Ils coururent sans s'arrêter, gravissant les marches, trébuchant, leur souffle court, jusqu'à ce qu'enfin, ils atteignent la surface, respirant l'air froid de la nuit. Les étoiles brillaient faiblement au-dessus d'eux, mais le ciel semblait plus sombre, plus menaçant, comme si les événements des catacombes avaient laissé une trace même dans le firmament.
Marcel, haletant, se tourna vers le commissaire.
— Commissaire, qu'est-ce que... qu'est-ce que tout cela signifiait ? Ces créatures... cette secte...
Favre, encore sous le choc, le regard perdu, murmura d'une voix absente :
— Certaines choses... ne devraient jamais être connues, Marcel. Ce monde... il y a des forces au-delà de notre compréhension, des ténèbres prêtes à se déverser si nous osons les effleurer. Nous avons, cette nuit, frôlé l'indicible.
Les jours suivants, Favre tenta de reprendre le cours de sa vie. Mais quelque chose en lui s'était brisé dans cette descente vers l'abîme. Il errait dans son appartement comme une âme en peine, évitant les miroirs, car dans son reflet, il percevait toujours la marque de Nyro'thul, un résidu de l'ombre qui continuait de le hanter.
Ses collègues le trouvèrent changé, plus silencieux, plus méfiant, ses nuits peuplées de cauchemars. Quant à Marcel, il ne reparla jamais des événements des catacombes. Lui aussi portait en lui une part de cette nuit d'horreur, et un silence tacite liait les deux hommes, marqués par ce secret indicible.
Le Liber Tenebrarum disparut du commissariat quelques jours plus tard, sans laisser de trace, comme s'il avait été avalé par les ténèbres. Certains murmurèrent que le Cercle de l'Abysse avait tenté de le récupérer, d'autres que Favre l'avait fait disparaître, mais personne ne sut jamais la vérité.
Au fil des mois, le commissaire Favre se retira peu à peu de la société, isolé dans une maison de campagne, seul avec ses pensées. La voix de Nyro'thul, bien que lointaine, ne l'avait jamais tout à fait quitté. Parfois, il lui semblait percevoir des murmures dans le vent, des signes dans les ombres, comme des rappels constants de l'abîme qu'il avait entrevu.
Et lorsque la nuit tombait, il lui arrivait encore d'entendre des chants lointains, comme un écho venant de très loin, des voix qui semblaient l'appeler, l'invitant à replonger dans l'obscurité éternelle.
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L'Ombre de Nyro'thul
HorrorLorsque le commissaire Favre est chargé d'enquêter sur une série d'homicide liées à un culte occulte, il découvre une secte vénérant une entité cosmique, Nyro'thul, dont les murmures s'insinuent dans son esprit. Pris entre la folie et une réalité in...