La brume, épaisse et mouvante comme une créature vivante, s'étendait au-dessus des ruelles pavées de la vieille ville. Enveloppant chaque recoin, chaque ombre, elle étouffait la lumière des lampadaires, plongeant les bâtiments dans une semi-obscurité propice aux murmures des secrets anciens. C'est dans cette atmosphère oppressante que le commissaire Albert Favre fut rappelé d'urgence en cette nuit d'octobre. Un corps avait été découvert, les circonstances entourant sa mort étaient si étranges que même les officiers aguerris semblaient hésiter à en parler.
Lorsque Favre arriva sur les lieux, l'air glacé et humide s'infiltra dans son manteau, rendant sa peau moite et inconfortable. La scène se trouvait au bas d'une impasse, un lieu si reculé et isolé qu'il semblait hors du temps. Deux officiers, blêmes et silencieux, le guidèrent jusqu'à l'endroit où gisait le corps. Le commissaire s'accroupit, examinant la dépouille. Elle était en proie à une mutilation si grotesque qu'il était difficile de croire qu'un homme seul ait pu provoquer un tel carnage. La chair avait été lacérée, non pas comme on le ferait avec une lame, mais comme si des griffes, longues et crochues, avaient arraché des lambeaux de chair d'une précision terrifiante. Plus encore, l'expression figée du mort trahissait une terreur infinie.
Les indices retrouvés sur les lieux étaient rares, mais un symbole étrange était gravé profondément dans la peau de la victime, tracé avec un soin malsain. Un cercle imparfait, entouré de lignes courbes et sinueuses qui semblaient représenter des tentacules ou des racines enchevêtrées. Ce symbole, à la fois inquiétant et hypnotisant, éveillait en Favre un malaise indéfinissable. Alors qu'il observait les alentours, ses yeux tombèrent sur une mince relique de parchemin, pliée et glissée sous le cadavre, comme un avertissement laissé à dessein.
Il se redressa en ouvrant précautionneusement le morceau de papier, découvrant un message en latin archaïque, gravé avec une précision singulière:Qui fulgorem scientiae obscurae provocat, abyssis infinitis se tradit.
(Celui qui défie l'éclat du savoir sombre s'abandonne aux abysses sans fin.)Les mots s'imprimaient dans l'esprit de Favre, pulsant comme une incantation ancienne. À cet instant précis, il ressentit une impression de chute, comme si son âme sombrait dans une mer infinie.
Bien que rationnel et sceptique par nature, Favre était forcé d'admettre que la situation l'effrayait. Ses pensées le ramenaient à des souvenirs d'enfance, lorsque sa grand-mère, superstitieuse et versée dans les légendes, lui racontait des histoires d'êtres indescriptibles vivant dans les ombres. Dans l'air ambiant, il semblait sentir un vestige de ces contes d'antan, une présence intangible et menaçante.
Le lendemain, en se rendant au commissariat, il tenta de dissiper ce sentiment d'inquiétude, mais ses efforts restaient vains. L'image du symbole marqué dans la chair et les mots écrits sur le parchemin s'accrochaient à lui, comme des insectes rampants dans son esprit. Alors qu'il feuilletait les rapports de l'enquête, une phrase se détacha de ses pensées :
Sectes occultes. La ville, vieille de plusieurs siècles, avait jadis abrité des groupes obscurs qui pratiquaient des rituels interdits.
Cette découverte réanimait un sentiment de méfiance latent, et il se surprit à frémir à l'idée de ce que ces cultes pouvaient encore renfermer.
En enquêtant davantage, il apprit par des sources discrètes qu'une secte mystérieuse, le Cercle de l'Abysse, aurait pu être active dans la région. Ce groupe, ancien et clandestin, était décrit comme une organisation vénérant des entités que l'esprit humain ne pouvait appréhender sans sombrer dans la folie. On disait qu'ils priaient des êtres appelés les Anciens, entités provenant d'un autre plan d'existence, dont la simple mention faisait frissonner les rares chercheurs ayant osé en parler. Ces êtres, dit-on, se nourrissaient des âmes humaines, exigeant de leurs fidèles des sacrifices pour accéder à un fragment de leur savoir interdit. Plus il creusait, plus Favre découvrait des détails troublants sur ces pratiques. Certains témoins parlaient de rites où l'on chantait des prières en langues mortes, dans des lieux inaccessibles au commun des mortels. D'autres prétendaient que les membres du Cercle de l'Abysse étaient capables d'invoquer des visions d'entités géantes, faites de ténèbres et de brumes, flottant comme des spectres au-dessus de la ville.
Ce fut après plusieurs jours d'enquête que Favre reçut un mystérieux appel téléphonique. Une voix basse, presque méconnaissable, chuchotait des mots décousus, lui enjoignant de se rendre dans une chapelle abandonnée à l'extérieur de la ville, à la faveur de la nuit. L'avertissement se terminait par une mise en garde:
- Ne venez que si vous osez regarder l'ombre en face, commissaire
Le crépuscule arrivé, Favre se retrouva sur le chemin de la chapelle. Chaque pas l'éloignait de la réalité familière, l'amenant vers un monde où la raison n'avait plus de prise. Le silence régnait, oppressant, et seule la lueur chancelante de sa lampe de poche perçait les ténèbres. En approchant du bâtiment, il fut saisi par l'ampleur de son état de délabrement. Les murs, mangés par la végétation, semblaient s'écrouler sous leur propre poids, et des symboles étranges étaient gravés autour de l'entrée, semblables à celui qu'il avait vu sur le corps.
À l'intérieur, l'air sentait le moisi, chargé de poussière et d'une odeur métallique. Le faisceau de sa lampe éclaira des bancs renversés, un autel brisé, et au fond, une statue informe, sculptée dans un matériau noir et luisant. La statue représentait une créature qui ne ressemblait à rien de connu, une figure torsadée, dotée de tentacules sinueux et de multiples yeux qui semblaient le fixer, même dans l'obscurité. Alors qu'il s'approchait de cette figure inquiétante, il sentit une présence, une vibration dans l'air, comme si la statue contenait une vie latente, prête à s'éveiller. L'espace autour de lui sembla se contracter, et il lui sembla entendre un murmure, profond et guttural, résonner dans les murs. Les mots, bien qu'indistincts, émanaient de la statue elle-même, un appel qui lui était directement destiné.
En se tenant devant cette entité sculptée, Favre sentit son esprit vaciller, son équilibre fragile basculant vers le gouffre de la folie. La nuit s'épaississait autour de lui, et il comprit que ce qu'il avait entraperçu n'était qu'une première épreuve. Une partie de lui avait déjà commencé à se dissoudre, comme si la noirceur de la statue dévorait lentement son âme. Les prières en langues oubliées, le symbole gravé, le regard aveugle et scrutateur de la statue : tout cela résonnait désormais en lui comme un appel à aller plus loin, à ouvrir les portes d'une connaissance qu'aucun humain ne devrait posséder.
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L'Ombre de Nyro'thul
HorrorLorsque le commissaire Favre est chargé d'enquêter sur une série d'homicide liées à un culte occulte, il découvre une secte vénérant une entité cosmique, Nyro'thul, dont les murmures s'insinuent dans son esprit. Pris entre la folie et une réalité in...