Le crépuscule étendait ses doigts glacés sur la ville, drapant les rues d'un voile sombre et fuyant. Elyra avançait dans les ruelles, ses pas s'harmonisant avec les murmures de la ville qui s'éveillait sous la lueur tremblante des lampadaires. L'odeur métallique de la pluie récente s'accrochait aux pavés humides, tandis que des effluves de nourriture bon marché s'échappaient des échoppes qui fermaient lentement leurs volets. Ici, dans les marges des douze domaines nobles, la ville vibrait d'une énergie brute, teintée de survie et d'un semblant d'indifférence envers le luxe des grandes maisons. Pour Elyra, c'était une familiarité presque rassurante : les façades délabrées, les ruelles tortueuses, un monde où les règles différaient de celles des puissants, et où elle excellait.
Elle esquissa un sourire, un brin ironique. La maison Valhenor... Bien sûr. Il fallait que le destin me pousse à m'attaquer à l'une des familles les plus puissantes du monde civilisé. Moi et ma chance légendaire... Comme si pour une fois dans ma putain de vie, ça pouvait être facile. Mais non bien sûr, fallait que je tire le gros lot.
Le chemin jusqu'à l'Étendard Fané se déroulait comme un rituel silencieux. Elle avançait d'un pas assuré, se fondant dans les ombres, là où la lumière des réverbères faiblissait. Ses pieds foulaient les pavés sans bruit, glissant entre les éclats de conversations et les regards fuyants de ceux qui, comme elle, connaissaient trop bien les codes de ce quartier.
Elle atteignit enfin l'Étendard Fané, une taverne qui attirait tout autant les petites fortunes en quête de frissons que les nobles discrets désireux d'échapper, l'espace d'un soir, aux protocoles étouffants de leurs maisons. À l'extérieur, l'enseigne ternie dissimulait un intérieur raffiné, de bois poli, éclairé par des chandeliers tamisés qui renvoyaient une ambiance feutrée.
Elyra se glissa sur un tabouret au comptoir, faisant un signe au barman. « Un whisky, sec. »
Le barman lui jeta un clin d'œil puis lui servit son verre.
Elle sourit en levant le verre à ses lèvres, savourant la brûlure de l'alcool qui descendait dans sa gorge, une chaleur bien méritée après une journée de manœuvres et de calculs. Elle laissa le goût de l'instant s'étirer, mais la tranquillité fut de courte durée. Un homme s'approcha, visiblement éméché, avec cette familiarité indésirable que l'alcool conférait aux plus lourds.
« Alors, ma belle, t'as pas envie de compagnie ce soir ? » lança-t-il, un sourire suffisant aux lèvres, son regard enflammé par une envie brute.
Elyra l'ignora, portant son verre à ses lèvres avec indifférence, espérant qu'il saisirait le message. Mais il insista, sa main large et lourde se posant sur son épaule, appuyant avec la ferme intention de ne pas la lâcher.
« Eh, tu vas me répondre, sale pute ? »
Elle sentit une flamme glaciale s'allumer en elle. D'une pensée fugace, elle fit disparaître la résistance de l'air autour d'elle, ce qui lui permit un mouvement d'une rapidité inhumaine. En une fraction de seconde, elle se dégagea de sa prise et se retrouva derrière lui. Sa main attrapa l'arrière de son crâne, et, avant qu'il ne comprenne ce qui se passait, elle écrasa son visage contre le comptoir. Le craquement sourd de ses dents contre le bois résonna, et un éclat rouge teinta le comptoir.
Elle se redressa, laissant l'homme groggy, ses mains plaquées sur sa bouche ensanglantée. « Eh bien, mon grand, on ne t'a jamais appris qu'il faut tourner ta langue dans ta bouche avant de parler, » murmura-t-elle avec un amusement froid. « Dommage qu'il te reste plus grand-chose pour le faire maintenant. »
Elle se réinstalla sur son tabouret et fit un signe au barman. « Mettez ça sur le compte de ce... charmant gentleman, » ajouta-t-elle en hochant la tête vers l'homme qui gémissait au sol.
Quelques rires discrets s'élevèrent autour d'elle, les conversations reprenant sans s'attarder, apparemment une telle scène n'était pas la première ici.
La porte s'ouvrit peu après, laissant entrer Karlan. Sa silhouette imposante se découpait dans l'ombre de l'entrée, sa carrure large et ses traits marqués par une cicatrice sur l'arcade sourcilière lui conférant une présence imposante. Ses yeux, sombres et perçants, balayèrent la salle d'un regard attentif, jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent sur Elyra. D'un pas sûr et silencieux, il traversa la pièce, émanant l'aura d'un homme habitué au respect et à la crainte.
Il s'installa à côté d'elle, affichant un sourire en coin. « Celui-là a fait quoi ? »
Elyra haussa les épaules et termina son verre, puis répondit « Trop parlé. » Elle fit signe au barman de lui resservir un whisky. « Mais pour le reste... »
Elle laissa sa phrase en suspens, balayant les environs du regard, avant de se tourner vers Karlan avec un sérieux nouveau dans les yeux. D'un accord silencieux, ils se levèrent et prirent place à une table en retrait, loin des regards indiscrets, où leurs voix se perdraient dans le bourdonnement de la pièce.
Assise face à lui, Elyra fronça légèrement les sourcils, rassemblant ses pensées. « La maison Valhenor... C'est tout ce que j'ai pour l'instant. Rien de concret, juste une piste, » murmura-t-elle, sa voix teintée de réflexion.
Ils échangèrent un regard chargé de tension, Karlan hochant la tête comme pour évaluer la difficulté de la mission qu'elle envisageait. « S'attaquer à cette maison, c'est comme jouer avec le feu. On parle de l'une des familles les mieux protégées et des plus redoutées du pays. »
Elyra soupira en jetant sa tête en arrière, comme frappée par la lourdeur du défi qui l'attendait. Elle laissa échapper un rire amer. « Ça serait quand même vachement plus simple si on avait une connaissance, quelqu'un de l'intérieur... Quelqu'un qui pourrait nous ouvrir les bonnes portes sans attirer les regards. »
Karlan esquissa un sourire amusé, ses yeux brillant d'une lueur malicieuse. « Il se trouve que j'ai peut-être quelqu'un. »
Intriguée, Elyra se pencha en avant, son intérêt éveillé. Karlan prit une gorgée de son verre avant de poursuivre, un air mystérieux dans la voix.
« Albéric Valhenor, l'un des rejetons de cette famille, est criblé de dettes... et, disons-le, il me doit une somme assez conséquente. »
Elyra arqua un sourcil, un sourire en coin se dessinant lentement sur ses lèvres. « t'a un Putin de noble en laisse?»
Karlan hocha la tête, prenant soin de laisser chaque mot s'imprégner. « Exactement. Si tu cherches un point d'entrée dans cette maison, il pourrait bien être notre porte dérobée. C'est un connard fini, mais noble malgré tout. Avec un peu de ruse, il pourrait même croire que tu lui rends service. »
Elyra réfléchit un instant, évaluant les risques et les possibilités, l'adrénaline commençant à se diffuser dans ses veines. Elle savait que cela impliquait de s'engager dans un jeu bien plus dangereux que ses manœuvres habituelles.
Karlan la fixa, l'ombre d'un avertissement dans le regard. « Le problème, ce n'est plus comment entrer, Elyra. C'est comment sortir vivante. Cette famille n'oublie rien, et ils ne pardonnent jamais. »
Elyra haussa les épaules avec un sourire malicieux, la flamme du défi brillant dans ses yeux. « Si ce n'est que ça, » répondit-elle, une lueur d'amusement dans la voix, « j'ai déjà ma petite idée. »
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Elemancers
FantasiDans le monde impitoyable d'Erenor, la magie n'est pas seulement un pouvoir, c'est une arme. Réservée aux nobles, descendants des anciens alliés du tyran Varian, elle sert à maintenir une population sans magie sous un joug cruel. Les Solimancers et...