2. Triste Sire.

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— On est invités à l'Élysée dans trois heures et tout ce que tu trouves à faire c'est jouer sur ton portable ?

Jordan releva brusquement la tête, grimaçant sous le coup de la douleur. Il s'était fait mal lors de son dernier entraînement de boxe et les mouvements brusques n'aidaient pas, ses cervicales étaient encore douloureuses.

Marine venait d'entrer dans son bureau, un grand sourire sur le visage.

De toute façon, c'était simple, Marine était toujours de bonne humeur. C'en était même parfois agaçant tant elle tenait bien son rôle. C'était même plus qu'un rôle, il était naturel.

Jordan, lui, devait souvent surjouer ses sourires, tant cela pouvait s'avérer complexe pour lui de tenir toute une journée de la sorte. Il était loin d'avoir les quarante ans d'expérience de sa mentor en la matière.

— Je faisais une pause, se justifia Jordan en reposant son portable devant lui, face contre la surface du bureau. Il allait devoir attendre pour passer le niveau 4650 de Candy Crush. Que voulez-vous, les séances au Parlement européen sont souvent interminables...

Marine rigola et fit un geste las de la main, comme pour signifier qu'elle se moquait simplement de lui. Elle jeta négligemment son sac sur le canapé du vaste bureau du président du RN et tira la chaise en face de lui.

Tout est prêt ?

Jordan haussa les épaules.

— Disons qu'on ne croule pas sous le travail ces derniers jours, alors je dirais que oui. La presse harcèle Élise depuis ce matin, ils veulent être sûrs qu'on va dire quelque chose avant l'entretien.

Évidemment, maugréa Marine, et Jordan estima que cela était à la fois un constat amer et une réponse à la question de ces vautours.

Depuis le 12 juillet, Jordan n'avait pas revu Gabriel Attal ni discuté avec le moindre allié de la macronie. Tous, sans exception, s'étaient murés dans le silence durant l'été. Non pas que tout ce beau monde lui manquait, mais quand même ! Ils avaient passé la dernière année les uns sur les autres après tout.

Pourquoi une telle absence ? Oh, trois fois rien. Un président qui refuse le résultat des urnes, un Premier ministre toujours démissionnaire, des Jeux Olympiques qui éclipsent tout, que demander de plus pour foutre le camp ! Personne ne voulait assumer tout ça.

Sauf Amélie Oudéa-Castéra et Stéphane Séjourné, qui couraient partout pour s'afficher avec les stars des JO, souvent accompagnés d'un Gabriel Attal aux anges, qui semblait avoir oublié qu'il y a un mois à peine, il pensait sérieusement à quitter la vie politique.

Comme quoi, on se remet de tout !

Vacances en Corse, road-trip au Brésil, les poids lourds du gouvernement étaient aux abonnés absents cet été et le RN en avait aussi largement profité, tout comme les Insoumis.

Laissons le fou de l'Élysée mettre les mains dans sa propre merde et allons nous la couler douce sous les tropiques !

Mais il avait suffit d'un seul coup de fil pour ramener tout le monde au pas. Stop, tout le monde s'arrête ! Le Sire Macron exige de rencontrer tous les partis en vue de la nomination de son Premier ministre.

WOW ! Quelle aubaine.

Ça allait donc être ça cette semaine : le défilé des perdants, les revendications des battus, les plaintes des macronistes, tout ce sketch savamment orchestré. Mais Jordan et Marine n'étaient pas dupes.

— Il sait très bien qui il va nommer. Je crois même qu'il a déjà son nom.

Et Jordan hocha la tête.

PARADOXE [Jordan Bardella & Gabriel Attal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant