── Chapitre 3 : Thomas Shelby.

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   3 septembre 1932, 23h54.

   Cimetière de Smethwick.

   Tous les morts n'ont pas la même odeur.

   Ca, Tommy l'a appris en France, en même temps que des millions d'autres soldats. Rendre son dernier souffle à cause d'une balle de pistolet, à cause des flammes ou à cause de la maladie - le résultat est le même, mais les ressemblances s'arrêtent à cela. Visuellement, c'est rarement la même chose. C'est une chose de voir un homme mort ; c'en est une autre de voir une masse difforme et de devoir réaliser, au bout de longues secondes, qu'il s'agit des restes d'un homme mort. De devoir se concentrer pour essayer de deviner, sans certitudes, si ce que l'on a face à soi est le reste d'une jambe ou plutôt d'un bras...

   Tous les morts ne se ressemblent pas. Tous les morts n'ont pas la même odeur, non plus - le pire des scénarios, à ses yeux, est l'odeur de chaire brulée.

   En revanche, si l'on attend assez longtemps, tous les cadavres finissent par se ressembler, et par puer de la même manière.

   Ca aussi, Tommy l'a appris en France.

   Et pourtant, tandis que sa pelle le rapproche encore et encore du cadavre d'Oswald Mosley, Thomas est persuadé de ne jamais avoir senti un mort pourvu d'une odeur si nauséabonde.

- J'sais que tu n'y crois plus, aux histoires d'esprits, Tom, mais j'ai pas un bon pressentiment... 

   Tommy continue de vider la tombe de Mosley, pelletée après pelletée. Il ne relève pas la tête vers l'oncle Charlie, debout au-dessus de lui ; sa lampe à huile constituant la seule source de lumière en cette nuit parfaitement noire.

- Oh, mais j'y crois, aux histoires d'esprits. (Tommy marque une pause le temps de s'essuyer la sueur du front. Il a déjà retiré son manteau et sa veste, mais force est de constater qu'à son âge, il n'a plus la même endurance qu'avant.) Je crois aux esprits démoniaques en particulier. D'où l'intérêt de vérifier que celui-ci est bien où il est censé être.

   Parce que dans la vie, il y a de ces morts qui ne le restent pas. Une fois déjà, Oswald Mosley avait réussi à mettre en scène son propre décès ; faisant croire à tout le monde - Tommy y compris, à sa grande honte - qu'il était passé dans l'au-delà.

   Mais certains cafards ont la vie dure, et la mort encore davantage.

   Bien joué, la dernière fois, ne peut s'empêcher de penser Tommy tandis que le tas de terre à côté de lui grandit au rythme des pelletées. Mais tu ne m'auras que deux fois, pas trois.

- Tu ne crois pas qu'ça peut porter mauvaise chance, Tom, que de déranger les morts? J'sais que Mosley, c'était une ordure, mais ta mère disait toujours que les morts, ils avaient payé une partie de leur dette en mourant, justement, et que...

- Ma mère pensait également qu'il y avait des petites fées roses qui habitaient sur la Lune, Charlie, le coupe Tommy toujours sans lever les yeux de sa tâche.

   Silence.

   Son oncle ne trouve rien à redire à cela. Parce qu'il sait que Thomas a raison, ou bien parce qu'il croit lui aussi aux fées de la Lune? Qui sait.

- Lumière, finit par marmonner Tommy à son attention quelques minutes plus tard.

   Sa pelle vient de toucher quelque chose de solide - enfin, ce n'était pas trop tôt !

   Charlie baisse la lanterne dans sa direction. Tommy continue à déblayer le haut du cercueil ; d'abord, avec la pelle, puis à mains nues.

- Oswald Mosley, lit l'oncle Charlie sur la plaque en métal clouée au bois. Tu as vu, Tom? C'est le bon. On peut y aller, maintenant? J'sais que personne n'oserait te le dire en face, mais si des gens du village te voyaient déterrer les morts au milieu de la nuit, j'crois que tout l'argent du monde ne te permettrait pas de sauver la réputation de la famille.

- Passe-moi le pied de biche, Charlie. (Pas de réaction.) Le pied de biche, Charlie.

   Il lève les yeux vers son interlocuteur, uniquement pour trouver ce dernier en train de secouer nerveusement la tête, d'une manière qui lui rappelle étonnamment Curly.

- Non, Tom, non. J'veux bien t'aider à vérifier que le cercueil, il est bien à sa place, mais j'peux pas te laisser l'ouvrir -

   Avant qu'il n'ait le temps de terminer sa phrase, Tommy s'est déjà redressé pour attraper la barre de métal posée contre la pierre tombale. 

- Tom...

- Ecoute, Charlie - (Il regarde son oncle dans les yeux. Ils sont tous les deux trop fatigués pour ce combat, pour des raisons différentes.) - rentre chez toi. Je m'en sortirai tout seul, d'accord?

   Un long instant d'hésitation.

   Au moment où Tommy croit qu'il va s'exécuter, Charlie finit par poser la lanterne sur le sol, avant de se pencher en avant pour essayer de trouver le bord du cercueil du bout des doigts.

- Ici, dit-il en faisant signe à son neveu de venir insérer le pied de biche. Comme ça, on pourra refermer le cercueil proprement, à la fin. 

- Charlie...

- Allez, Tom, on n'a pas toute la nuit. Ta mère ne me le pardonnerait jamais, si je te laissais saccager des tombes tout seul. (Tommy s'exécute, jusqu'à ce qu'un craquement de bois se fasse entendre.) Ciel, qu'est-ce que ça pue !

- Oui, confirme Tommy à voix basse. Oswald Mosley a toujours eu cet effet, vivant ou mort.

* * *

(Whoups. On n'est pas super réguliers dans la publication de chapitres, par ici ! Promis, je ne compte pas abandonner l'histoire - j'ai même pas mal d'idées assez fun, à mon humble opinion -, mais il faudra être un peu patient par moment malheureusement !)

[TOME 3] Thomas Shelby » Peaky Blinders.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant