- Dites! Monsieur... Pardon, il est à vous, le sac, là?
Je me retourne, et je tombe sur cette petite bonne femme en sandales et débardeur, l'air féroce, pas aimable pour un sou, avec ses cheveux coupés court qui rebiquent au-dessus des rides de son front, le type vieille fille aigrie par la vie qui, pas foutue de se trouver un mari avant la quarantaine, s'est érigée par frustration en chienne de garde du bon fonctionnement des choses, prête à monter au créneau pour la moindre erreur qui pourrait croiser son chemin, et ses gros yeux fichés dans les miens m'indiquent que c'est à moi qu'elle pose la question.
- Quoi?
- Le sac, là, sur le banc, il est pas à vous?
Elle lève mollement son bras nu et flasque derrière elle, vers la rangée de sièges en fer que je viens de quitter et sur laquelle j'aperçois un sac à dos tout bombé, son regard de chieuse toujours braqué sur moi, l'air de dire "dépêche-toi de ramasser ta merde connard, tu te rends compte que t'as failli provoquer une intervention en oubliant ton sac comme un con, ça aurait annulé tous les départs, t'aurais fait chier tout le monde en pensant qu'à ta sale petite gueule" mais désolé ma vieille, il est pas à moi ton sac de merde, alors tu peux te les garder tes accusations, j'ai rien à me reprocher, moi.
- Non, c'est pas à moi.
Je vais pour partir, mais la salope est pas décidée à me lâcher, elle renchérit avec sa voix criarde que je souhaiterais à personne d'entendre tous les jours, son ton sec et précipité que je peux pas imaginer fait pour autre chose qu'engueuler des gosses qui courent dans la rue parce qu'ils lui rappelleraient qu'elle en aura jamais, et le premier truc que je remarque cette fois en me retournant vers elle, c'est la moustache de transpiration qui perle au dessus de ses lèvres, vraiment dégueulasse, le genre de détail à vous dégoûter des femmes pour toujours, et qui achève de me rendre celle-là plus qu'antipathique, imbaisable, pitoyable comme ça mérite pas d'exister.
- Et vous auriez pas vu qui aurait pu le laisser là? Quelqu'un qui était à côté de vous, qui serait parti à un moment...
J'ai pas vraiment que ça à foutre de regarder tous les types qui vont et viennent autour de moi, je suis pas la nounou de tout le monde qui rapporte les objets perdus à leurs propriétaires, et je vois encore moins pourquoi je devrais rendre mon rapport à la première emmerdeuse qui passe, qui elle est celle-là pour me faire son interrogatoire, elle est pas des forces de l'ordre que je sache, contrairement au basané en uniforme qui s'avance vers nous, fusil d'assaut en bandoulière.
- Excusez-moi madame, quelque chose ne va pas?
- Ah ben oui, vous tombez bien, je demandais au monsieur si il avait laissé son sac sur le banc là-bas, mais apparemment c'est pas à lui...
Et l'autre d'observer dans la direction indiquée, en plissant les yeux d'un air important, comme pour montrer qu'il va s'en occuper, que tout est sous contrôle, vous êtes en sécurité maintenant, je suis l'homme de la situation, et ça me fait bien rire de le voir se la jouer justicier, quand on sait que c'est plutôt les gens de son espèce qui ont tendance à laisser des bombes dans des gares, et si il pense qu'il va m'impressionner, moi aussi, avec un famas dans les mains, je peux imposer le respect, je m'en servirai sans doute mieux que lui, d'ailleurs.
- Bon... On va s'en occuper. Merci de nous avoir prévenu, vous pouvez y aller.
Encore heureux qu'on peut y aller, je vais pas me faire retenir de force par un bicot qui se croit tout permis parce qu'on lui a donné un béret et un fusil, alors j'y vais sans rien dire et je sors dans le soleil et le bruit, je marche entre les bagnoles en pensant à tous les connards que je pourrais me faire si j'avais mon famas à moi, j'ai envie d'une clope mais j'ai grillé ma dernière avant de monter, j'irai me racheter un paquet en sortant de l'autoroute, pour l'instant je marche juste dans le parking et avant d'arriver à ma voiture, je lâche un gros molard sur le bitume sale qui s'étend sur des kilomètres.
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Le Latevember 2024
RandomJ'ai raté le coche du Writober 2024, alors j'ai décidé d'arriver après la bataille avec un Latevember: une histoire par jour, chacune basée sur un mot issu de la liste officielle. Parviendrais-je à m'y tenir? Cela relèverait pour moi du miracle, et...