LE COMTE BLACKWOOD

PRÉLUDE

Dans le lointain Nord de l’Angleterre, là où la brume semble se lover autour des collines et où les forêts se dressent comme des sentinelles silencieuses, se trouve le manoir de Blackwood. Érigé au sommet d’une colline escarpée, cet édifice gothique, avec ses flèches élancées et ses fenêtres à vitraux ternis, évoque un autre temps. Les légendes murmurent que les pierres de ce manoir ont été témoins de passions, de trahisons et de secrets si profonds qu’ils ont fini par façonner l’âme même de ceux qui y habitent.

À l’intérieur de ses murs épais, le temps semble s’être figé. Les tapisseries, ternies par les années, racontent des histoires de gloire et de déclin, tandis que les chandeliers, autrefois étincelants, pendent comme des larmes figées, éclaboussant la lumière vacillante sur des visages figés dans le marbre. Dans ce lieu où le passé pèse lourd, chaque souffle, chaque pas résonne comme un écho des âges révolus. Le manoir est un personnage à part entière, nourrissant une atmosphère de mystère et d'angoisse.

C’est dans cet environnement imprégné d’histoire que Mary Katherine, une jeune femme pleine d'espoir, se présente comme la nouvelle servante du comte Alaric Blackwood. Venue d’un petit village, Mary a toujours rêvé de voir le monde au-delà des champs et des rivières qui l’avaient confinée. Son intérêt pour l’apothicairerie et les plantes médicinales l’a poussée à chercher une vie différente, loin des contraintes de son existence passée. Quand elle a entendu parler d’un poste à Blackwood, elle n’a pas hésité une seconde, persuadée que cette opportunité serait le tremplin vers une vie pleine de découvertes.

À son arrivée, la beauté austère du manoir la saisit. Elle s'imagine déjà explorant les jardins en friche et découvrant les herbes oubliées, tout en apprenant les secrets de la maison. Mais rapidement, elle réalise que la vie au service du comte est bien plus complexe qu’elle ne l’avait imaginé. Les autres domestiques, bien que peu nombreux, semblent garder leurs distances, comme si le manoir lui-même imposait un certain isolement. Seule face à son nouveau monde, Mary doit se faire sa place dans cet environnement rigide.

Alaric Blackwood, le maître des lieux, est un homme de peu de mots, dont la stature impose le respect, mais qui semble emprisonné dans ses propres pensées. Éloigné du monde extérieur, il est un homme que l’on dit brillant, mais dont les rumeurs parlent de regrets et de secrets sombres. Mary ne sait pas encore qu’au-delà de sa froideur apparente, se cache un passé lourd de conséquences, marquant la vie de tous ceux qui ont osé s'approcher de lui. Elle ressent une curiosité grandissante, mais elle est aussi consciente de la distance qui existe entre eux, une barrière faite de respect et de hiérarchie.

Les jours passent, et Mary commence à s’imprégner des habitudes du manoir. Elle explore la cuisine sombre, pleine de pots et de flacons aux étiquettes poussiéreuses, où les herbes et les racines attendent d'être utilisées. Dans les jardins, elle trouve des plantes aux propriétés mystérieuses, des trésors de la nature qui lui parlent de la magie des remèdes. Mais même dans cette tranquillité, elle est consciente d’une tension sous-jacente. Des conversations chuchotées derrière des portes closes, des regards furtifs échangés entre le valet et les autres domestiques, lui laissent entrevoir une atmosphère chargée de non-dits.

Le manoir, avec ses couloirs sombres et ses recoins secrets, semble receler des mystères qui l’appellent. Mary se surprend à rêver d’aventures et de découvertes, tout en sachant que la réalité de la vie de domestique est souvent faite de labeur et de soumission. Cependant, quelque chose en elle refuse de se laisser intimider. Elle est déterminée à percer les mystères de Blackwood, à apprendre ce que signifie vraiment servir cet homme énigmatique, tout en espérant qu’un jour, elle pourrait être bien plus qu’une simple servante.

Dans cette demeure ancienne où le passé et le présent s’entremêlent, le destin de Mary et d’Alaric se tisse lentement. Alors que les ombres s’allongent et que les premières neiges d’hiver recouvrent le paysage, une série d’événements imprévus commence à se dessiner, promettant de faire vaciller les fondations du manoir et de révéler les vérités qui dorment depuis trop longtemps. Mary se retrouve ainsi au cœur d'une histoire dont elle ne soupçonne pas encore l'ampleur, mais qui, à jamais, marquera sa vie et celle du comte Blackwood.

Les jours dans le manoir de Blackwood s'écoulent avec une monotonie pesante, rythmée par le froissement des tissus, le crépitement des foyers, et le bruit des pas sur les dalles froides. Mary, les mains pleines de terre et d'herbes, continue d'explorer le jardin, sa passion pour les plantes grandissant à mesure qu’elle découvre les trésors que la nature a à offrir. Elle s’attache à chaque feuille, chaque racine, comme si elles étaient des souvenirs d’un monde qui lui échappe. Le jardin, à la fois sauvage et dompté, devient son sanctuaire, un lieu de réconfort au milieu des lourdes responsabilités qui pèsent sur ses épaules.

Dans le manoir, la présence du comte reste distante. Alaric, souvent enfermé dans son bureau, s’adonne à des lectures anciennes et à l’écrit, plongé dans un monde de réflexions et de souvenirs. Les rares fois où il apparaît dans les couloirs, son regard est souvent perdu, comme s’il scrutait l’horizon à la recherche de quelque chose de perdu. Mary, tout en vaquant à ses occupations, ne peut s’empêcher d’observer cet homme, de se demander ce qui le tourmente et ce qui se cache derrière cette façade de stoïcisme.

Le valet, quant à lui, s'active discrètement dans les coulisses du manoir, son efficacité n'ayant d'égale que sa prudence. Il apparaît parfois dans le champ de vision de Mary, mais leurs échanges se limitent à des gestes et des hochements de tête, chacun conscient de sa place dans l'ordre établi. La dynamique entre les membres du personnel est subtile et complexe, chacun jouant son rôle dans cette pièce où le maître est le seul à décider du récit.

Les nuits, lorsque la lune éclaire les contours sinueux du manoir, un silence étrange enveloppe Blackwood. Les étoiles scintillent dans un ciel d’encre, tandis que le vent murmure des histoires d’antan. Mary, allongée dans sa chambre modeste, ne peut s’empêcher de penser aux mystères enfouis dans les murs du manoir. Des bruits indistincts semblent résonner à travers les couloirs, des chuchotements du passé s’entrelacent avec le présent, laissant place à une curiosité insatiable.

Le manoir, tout en conservant son austérité, devient un personnage à part entière, offrant des indices d’une histoire riche et troublée. Mary s'aventure souvent dans les bibliothèques poussiéreuses et les salles à manger ornées de souvenirs oubliés, frôlant les livres et les objets qui semblent garder en eux des fragments de vie, des éclats de lumière dans l’obscurité.

Avec le passage des saisons, la tension dans le manoir de Blackwood semble croître, comme une tempête qui gronde à l'horizon. Mary commence à ressentir que son arrivée dans cette maison n'est pas un simple accident, mais un tournant, un point d’inflexion dans un récit plus vaste que ce qu'elle peut appréhender. Les rivalités sociales et les anciennes rancœurs, jusqu’alors dissimulées, commencent à faire surface, menaçant de bouleverser la tranquillité précaire de leur existence.

La neige, tout en recouvrant le paysage d'un manteau pur et silencieux, amplifie les contrastes. Les fenêtres du manoir s'illuminent dans la nuit, laissant entrevoir des silhouettes fugaces qui s'affairent dans l'ombre. Les nuits sont longues, et alors que Mary observe le monde extérieur à travers les vitres embuées, elle se demande quel chemin prendront bientôt les événements. Les mystères du manoir l'appellent, la poussant à plonger plus profondément dans son histoire, tout en se préparant à affronter les vérités cachées qui attendent d'éclore.

Dans cette atmosphère chargée d'anticipation, Mary se sent à la fois attirée et réticente. Le manoir de Blackwood, avec ses secrets bien gardés et ses histoires d'un autre temps, est sur le point de dévoiler ses vérités, et Mary, bien qu'elle soit encore une étrangère, se retrouve inextricablement liée à son destin, marquée par une destinée qui n’attend que de se révéler.