Chapitre 1

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Héraclite a dit: "Sans l'espérance, on ne trouvera pas l'inespéré, qui est introuvable et inaccessible".

J'ai succombé face à l'adversité que le monde nous offre. Mon souffle, erratique, reste bloqué dans ma poitrine.Mais il faut que je reste saine d'esprit, c'est essentiel en ce moment, pour ma famille et pour moi-même.

Une fois que la porte avait volé en éclats tard dans la soirée, je me doutais que l'enfer ne faisait que commencer.

Les secousses du bus qui roule à vive allure dans les rues de Paris ont pour effet de me réveiller. Pourtant, je sais très bien où je suis mais, c'est comme si mon cerveau ne voulait pas accepter la situation. Il en est de même pour mes émotions. Je sais qu'elles sont là, quelque part, toutefois, rien ne veut sortir. Mon regard se pose sur les personnes qui m'entourent.

Dans ce transport sombre et étouffant, entassée avec d'autres âmes, je me sens comme une souris traquée dans un piège. Autour de moi, les visages sont marqués par la crainte et l'incertitude. Des regards furtifs, des murmures étouffés, mais personne n'ose vraiment parler. On est si différent mais ce bout de tissu jaune cousu sur notre coeur nous indique que pour eux, nous sommes tous les mêmes.

Des vermines.

Je reste pendant un instant les yeux rivés sur cette mère qui caresse les cheveux blonds de sa fille. Avec la faible lumière qui passe à travers les rideaux, je distingue les traces rouges sur les joues de cette maman.

— Beth, cesse de regarder les gens qui t'entourent, c'est impoli.

Mon père, assis à mes côtés, me fixe avec sévérité et il me rappelle encore une fois à l'ordre. Il a raison. Cependant, je ne peux m'empêcher d'imaginer la vie des personnes présentes dans ce bus avant cette terrible matinée.

— Tu as encore pris ce carnet. Tu sais que c'est interdit, Elisabeth ! me réprimande-t-il

— Je ne crois pas qu'écrire soit un délit tatuś *. répliqué-je en prenant mon petit cahier entre les mains.

— Élisabeth ! s'énerve-t-il

— Pardon, j'ai...j'ai juste besoin d'écrire ce qu'il se passe pour m'éviter de sombrer, avouai-je en déchirant une page.

Il s'approche de moi et prend l'une de mes mains pour les serrer contre son cœur. Mes yeux essaient de distinguer la lueur d'amour qui doit être présente quelque part dans ses iris, mais je n'y lis que de l'effroi.

— Veille à bien le cacher dans ce cas mój aniołek *, je ne souhaite pas que tu perdes la vie à cause des mots qui peuvent noircir ces pages. me prévient-il avant de me lâcher et de regarder droit devant lui.

Mes mains s'accrochent à la couverture en cuir du carnet. Mes doigts tremblent, mais c'est bien plus que la simple peur du voyage. C'est la peur profonde, viscérale, qui s'insinue dans chaque fibre de mon être.

Chaque fois que le véhicule ralentit, mon cœur tambourine dans ma poitrine, avec la crainte que ce ne soit la fin de notre périple. Je ne peux m'empêcher de penser à ce qui nous attend à la fin de ce voyage cauchemardesque.

Les secousses du bus s'arrêtent, le bruit du moteur s'est éteint, et soudain, un silence oppressant s'installe. Mes mains sont moites, mon cœur bat la chamade, et je sens une peur glaciale m'envahir alors que les portes du bus grincent en s'ouvrant. Avec une rapidité surprenante, je range l'objet que je tiens.

Une lumière aveuglante envahit l'obscurité suffocante du véhicule, et je cligne des yeux pour m'habituer à cette soudaine luminosité. Mais ce n'est pas celle-ci qui me terrifie le plus, c'est ce qui se profile à l'extérieur.

Des silhouettes sombres se découpent dans la faible lueur du jour, des hommes en uniforme, armés, qui nous regardent avec un mépris glacial. Leurs visages sont durs, impitoyables, et je sens un frisson d'horreur me parcourir l'échine alors que je réalise l'ampleur de notre situation.

Les cris, les pleurs, les supplications résonnent tout autour de moi, mais ils semblent lointains, étouffés par la terreur qui me serre la gorge. Nous sommes à leur merci, pris au piège de leur haine meurtrière.

— Reste près de moi, Élisabeth, me demande mon père.

La fraîcheur de la matinée m'agresse et, aux côtés de mon père, je ne peux m'empêcher de penser à ma mère. Quand les policiers sont arrivés chez nous, elle n'était pas là. Occupée à tricoter avec l'une de nos voisines.

J'aimerais tellement qu'elle soit là, près de moi.

Tout d'un coup, un homme s'approche de nous. Il ne porte pas d'uniforme, il n'a pas d'armes sur lui mais son regard est empli de colère. Je me cache un peu plus derrière mon père et évite de justesse le crachat de l'homme qui prend mon père pour un moins que rien. Mais ce qui me glace le sang, c'est son insulte.

— Puisse-t-on du dernier boyau de Rothschild, étrangler le dernier youpin ! crie-t-il en regardant papa.

Mes émotions, alors enfermées dans une cage dorée, explosent. Les larmes ruissellent sur mes joues et une boule se forme dans mon estomac. La peur, la tristesse, la fatigue. Je ne sais pas ce que cela signifie mais je suis sûre d'une chose. Je dois me battre pour garder ce qu'ils vont m'enlever.

Mon humanité, ma vie.

Loin des regards haineux, loin des hommes armés jusqu'aux dents prêts à nous descendre, mon père se rapproche un peu plus pour souffler dans mon oreille.

— Beth, respire. Tu te souviens de la leçon qu'on t'a appris avec ta mère ? Ne jamais montrer ses sentiments sinon...

— Sinon la vie s'éloignera de moi, terminai-je en essuyant les larmes qui perlent sur mes joues. 

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tatuś : papa en polonais 

mój aniołek : mon ange en polonais  

Matricule n°1053Où les histoires vivent. Découvrez maintenant