Chapitre 2

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Je vois l'horreur, tout comme des milliers de personnes. Les cris déchirants des enfants se mêlent aux pleurs des mères, créant une symphonie de désespoir qui résonne dans l'air étouffant. Nos regards sont vissés au sol, nous ne voulons pas être témoin de l'atrocité qui règne derrière ces portes.

Ce sinistre lieu où l'humanité est bafouée et brisée, voilà où je me trouve. Cet endroit que je considérais comme un lieu accueillant les rires, la fête et les courses cyclistes semble être aujourd'hui un monument qui exprime la cruauté humaine. Les hommes en uniforme nous scrutent avec indifférence, comme si nous n'étions que des chiffres à ajouter à leur liste macabre.

Nous sommes expédiés vers un banc qui regroupe déjà une dizaine de familles. Désormais ce sera notre "chez nous" ou du moins, l'endroit qui nous accueille pour quelques jours.

Serré contre des inconnus et c'en est presque étouffant.

Mais, la présence d'autres personnes à mes côtés n'est pas le seul souci face à la chaleur qui circule à grande vitesse sur ma peau.

L'intérieur du Vel d'Hiv est un enfer sur terre. Les murs grisâtres semblent suinter la désolation, comme si chaque pierre était imprégnée de la souffrance des milliers de personnes qui y sont entassées. L'air est chargé du mélange âcre de la sueur, de la terreur et du désespoir.

Les regards vides des détenus errent, reflétant la résignation et la peur omniprésentes.

Des gardes armés patrouillent, leurs visages impassibles trahissant peu d'émotion face à la détresse humaine qui les entoure. Ils sont les maîtres de ce royaume lugubre, où la vie a quitté les lieux.

Pourtant, alors que je tombe peu à peu dans l'angoisse au côté de mon père, mon carnet dans la poche de ma veste suscite en moi un réconfort nécessaire.

Je dois lui écrire.

Alors, je me munis d'un crayon de bois soigneusement caché dans l'une des poches de ma veste et je commence à rédiger quelques phrases. Il le faut, sinon je risque de perdre la tête, alors que ce n'est que le début.

"Cher Maurice,

Nous sommes le 16 juillet 1942 et je t'écris cette lettre dans l'espoir de te transmettre une fraction de ce que j'ai vécu au cours des derniers jours. J'aurais aimé que ces mots puissent véritablement capturer l'horreur et la désolation qui vont être notre quotidien, mais je crains qu'ils ne puissent jamais rendre justice à la réalité.

Depuis que nous avons été arrachés à nos foyers, depuis que nos vies ont basculé dans l'abîme de la cruauté humaine, je n'ai cessé de me demander pourquoi? Pourquoi nous, pourquoi maintenant, pourquoi cette folie meurtrière qui semble engloutir tout sur son passage?

Le Vel d'Hiv... même le nom me glace le sang. L'humiliation, la peur...chaque instant est empreint de désespoir. Nous sommes entassés comme du bétail, traités comme des parias, des moins que rien aux yeux de ceux qui nous avaient emprisonnés. Ce n'est que le premier jour que nous sommes là.

Je t'écris cette lettre pour te dire que même dans l'obscurité la plus sombre, même au cœur de l'enfer, il reste toujours une lueur d'espoir. J'espère de tout cœur que nous pourrons un jour la suivre jusqu'à la liberté, jusqu'à la paix que nous méritons tous.

J'en t'en prie, ne m'abandonne pas. Tes mots m'aident, ils sont enfermés dans une bulle temporelle. Par tous les moyens j'essaierai de te contacter pour garder ce lien invisible qui nous unie. Tes paroles me sauvent et grâce à elles, je garde les pieds sur terre.

Maurice, ne m'abonne pas.

Avec toute mon affection,

Élisabeth."

Mój aniołek. Est ce que tout va bien ? demande la voix de mon père.

— J'ai mal au ventre et à la tête, est ce que je peux aller à l'infirmerie proszę* ?

— Oui, tiens c'est le numéro de notre emplacement. Tu dois le montrer aux gardes et au médecin.

Je prends le petit bout de papier avant de le fourrer dans la poche de ma veste. Me frayant un chemin entre les familles qui m'entourent et les enfants qui jouent, j'arrive rapidement devant l'un des gardes. Le papier dans mes mains, je lui montre avant qu'il m'accompagne vers une infirmière.

Loin d'être malade, j'ai besoin de cette personne pour qu'elle transmette mon message à Maurice. Quand nous sommes arrivés à notre place, j'ai entendu une conversation. Un jeune homme disait qu'il connaissait une infirmière qui était son amie, ainsi, elle avait promis de faire passer des mots pour nous aider face à l'atrocité de l'événement. Selon ses dires, nous faisons partie d'un grand projet pour les Allemands et nous allons être transporté dans un endroit qui a besoin de notre aide.

Le centre médical du Vel d'Hiv est un endroit lugubre, empreint de désespoir et de souffrance. À peine entrée, une odeur nauséabonde de maladie et de désinfectant me frappe de plein fouet, me faisant frissonner malgré la chaleur étouffante.

Je vois alors une infirmière, plutôt âgée, qui aide une petite fille prise d'une quinte de toux. Je m'approche doucement avant de faire ma demande à cette dame.

— Bonjour, je suis désolée de vous déranger mais j'ai besoin de votre aide.

Elle se retourne vivement avant de me montrer un lit. Une fois la petite fille rassurée, l'infirmière vient vers moi.

— Mademoiselle Muller c'est bien ça?

J'acquiesce alors qu'elle me redonne ce morceau abimé que je tenais entre mes mains.

—Bien, allongez vous, je vais regarder ce que je peux faire.

— Je vais très bien, sur le plan de la santé.

Je plonge ma main dans cette petite poche et en ressort ma lettre.

— Est ce que vous pouvez m'aider à transmettre ce message? Je vous en supplie.

Elle me demande de baisser d'un ton avant de prendre le message présent dans ma main. Son regard se fait plus soucieux alors que je me redresse.

— Tu es toute seule? me demande-t-elle.

— Non, je suis avec mon père, je ne peux pas le laisser seul. Je vous en supplie, cette lettre est très importante pour moi.

Elle accepte puis m'aide à me lever et je me dirige vers la sortie de cette tente de fortune qui abrite énormément de malades. Je me retourne cependant pour regarder une nouvelle fois cette personne qui m'a apporté une lueur d'espoir.

— Je vous remercie encore, je sais les risques que vous encourez en transmettant cette lettre, dis-je alors en jouant avec mes doigts.

— Ce qu'ils font ici est inadmissible. Nous n'avons pas le droit de parler, nous devons rester à notre place. On voit toutes sortes de maladies: scarlatine, diphtérie, oreillons, varicelle, rougeole.

— Dans cet enfer vous êtes une source de lumière madame.

— Delatour, je suis Louise Delatour. précise-t-elle en laissant un faible sourire naître sur son visage.

— Élisabeth Muller.

Une fois à l'extérieur, je retrouve le même policier. Cependant, mon regard dérive une nouvelle fois sur les enfants qui entourent le centre de soin. Je remercie les pleurs qui ont masqué la conversation. 

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proszę : s'il te plaît en polonais 


Matricule n°1053Où les histoires vivent. Découvrez maintenant