Paris, le 21 juillet 1942, dans les pensées de Maurice.
Je me réveille dans l'aube grise, encore engourdi par une courte nuit. Voilà deux jours que j'ai déposé ce billet pour rassurer Élisabeth et, pour le moment, il n'y a eu aucune réponse, aucun retour face à ma demande. Ce silence m'inquiète et, malgré moi, je sens l'angoisse me nouer la gorge. Mais je n'ai pas le choix : je dois masquer cette tension et agir comme si de rien n'était. Tout ce que je peux faire, c'est espérer qu'elle a bien reçu mon message, que tout va bien. Du moins, c'est ce qui m'a été conseillé par mon chef.
C'est insoutenable.
Je m'habille et descends les marches du vieil escalier grinçant avant de sortir de chez moi, loin des remarques antisémites de mon père et la crédulité de ma mère. Seule ma sœur reste innocente face à la cruauté de l'actualité.
Dans la rue, je retrouve Pierre et Louis, mes deux amis de longue date. Les voir est pour moi comme un échappatoire, je ne suis plus le fils d'un vieux bourgeois ni le petit résistant du quartier mais juste Maurice, le jeune homme tranquille et sage, un jeune homme trop rêveur et un peu distrait. Je les salue avec mon sourire habituel, celui que j'ai appris à afficher en toutes circonstances. Intérieurement, j'ai envie d'hurler et de courir chercher mon amie, ma confidente.
On marche d'un pas tranquille, essayant de paraître aussi insouciant que d'habitude, mais dans le fond, l'air est lourd. Pierre jette un coup d'œil nerveux autour de lui, comme s'il guettait une silhouette familière. Derrière nos visages sereins, une tension masquée sommeille.
—T'as entendu parler du couvre-feu avancé pour demain ?demande Pierre en baissant la voix. À ce rythme, bientôt on devra rester cloîtrés toute la journée.
Je hoche la tête, les mains dans les poches, regardant le pavé sans oser trop réagir.
—Oui, ça se resserre de plus en plus... J'ai entendu que certains se risquaient encore à sortir tard. Tu te souviens de ce gars, Étienne, qu'on voyait tout le temps au café ? Il n'a pas reparu depuis deux semaines. informe Louis en sortant un boitier argenté de sa poche pour en sortir une cigarette.
Je grimace, comme si je voulais éviter de penser à cette disparition. Je me demande si Étienne n'est pas simplement "parti" comme tant d'autres. Nous évitons de dire ces mots-là, mais je sais que ça flotte dans l'air, même si nous essayons de parler d'autre chose.
—De toute façon, dit Pierre, la guerre va finir par tourner en notre faveur, non ? Ils ne peuvent pas tenir éternellement. Il dit cela d'un ton qui se veut léger, mais je le sens tendu. Ce genre d'optimisme forcé, c'est presque devenu une habitude.
— Peut-être. Mais en attendant, c'est nous qui sommes coincés ici, sous leurs règles... On peut profiter des bonheurs simples de la vie.
J'appuie mes mots d'un sourire, essayant de lancer la discussion sur une note moins sérieuse, mais mon allusion n'est pas vraiment subtile.
— Au moins, nous sommes encore libres d'aller boire un café avec de jolies demoiselles. Louis sourit à demi et me lance un regard entendu, je pose mes yeux sur Pierre et nous rigolons à l'unisson.
On continue à marcher, l'air faussement insouciant, parlant de tout et de rien, de films que l'on aimerait revoir, des anciennes fêtes qui semblent maintenant appartenir à une autre époque. Finalement, on arrive au café, et tout le monde s'installe autour d'une table.
On commande des cafés sans sucre, et je me laisse aller à écouter mes amis discuter, en essayant de ne pas trop laisser mes pensées dériver. Mais, derrière le rideau de fumée et de rires, j'entends un écho persistant, une petite voix qui me rappelle pourquoi, moi aussi, je ne peux rester passif. Alors je m'installe confortablement, échangeant des banalités avec eux tout en dissimulant ce que je porte en moi – car, pour l'instant, cela doit rester un secret. Je m'efforce de rester le Maurice insouciant, celui que mes amis connaissent et qui ne devrait surtout pas attirer l'attention.
Après le café, nous décidons de marcher un peu au bord de la rivière. C'est une habitude que nous avons. Refaire sans cesse ce même trajet, comme pour occuper nos journées d'un semblant de normalité.
— Bon sinon Maurice, des nouvelles de la petite Élisabeth ? me questionne Louis tout en traînant des pieds.
— Non, mentis-je, la dernière fois que je lui ai parlé c'était il y a quelques semaines.
— Sa famille n'est pas juive ? Tu sais si elle a fait partie des raflés ?
— Si elle l'est mais je ne sais pas ce qu'il s'est passé, Élisabeth n'est pas du genre à se cacher et elle aurait déjà tenté de s'enfuir si jamais elle a été capturée. essayai-je de feindre pour masquer mon trouble intérieur.
Le cas d'Élisabeth est très vite passé à la trappe et mes amis discutent des dernières rumeurs qui circulent sur la guerre, des bruits qui courent en ville. Parfois, je dois faire un effort pour ne pas réagir, pour ne pas laisser entrevoir que je suis au courant de bien plus que ces rumeurs floues, que j'entends parler d'opérations secrètes, de sabotages réussis.
En fin de journée, je prends congé d'eux sous un prétexte quelconque. Je rentre chez moi, le cœur battant, espérant trouver une lettre m'informant que ma missive a bien été envoyée mais rien.
Je monte jusqu'à ma chambre et me pose à mon bureau, j'allume une bougie, incapable de me résigner à cette attente interminable. Je prends une feuille de papier et, dans la pénombre, je commence à griffonner quelques mots pour elle, comme une manière d'occuper mes pensées, de tenir bon. Peut-être que cette nuit, la réponse arrivera. Peut-être que demain sera le jour où tout se mettra en place, où j'entendrai frapper trois fois à la porte, signe que tout a fonctionné.
Mais pour l'instant, il me reste l'attente, longue, silencieuse.
"Élisabeth,
Je te l'ai promis et je le ferai.
Ce n'était qu'une promesse sourde que je t'avais faite car tes larmes inondaient tes joues. Mais aujourd'hui, cette promesse devient un cri du coeur.
Je te l'ai promis et je le ferai, je te sauverai au péril de ma propre vie.
Maurice. "
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Matricule n°1053
Historical FictionVivre, c'était leur souhait. Jusqu'à ce que l'univers décide de mettre fin à leurs rêves. En 1942, Élisabeth Muller fait partie des 12 884 personnes arrêtées et transférées au Vel d'Hiv. Pour survivre dans les ténèbres, sa seule échappatoire rest...