Inspire, expire...
Ces deux mots sonnent comme une règle pour rester en vie. En vingt-quatre heures, j'ai eu le temps de voir une grand-mère s'affaiblir à cause du manque d'eau, un enfant se blesser parce qu'il voulait montrer une nouvelle figure à ses parents et une mère perdre du sang. Pourtant, je suis restée hermétique face à ces situations, préférant être forte pour mon père qui n'a plus prononcé un seul mot depuis que je suis revenue du centre de soin.
Respire
Mon esprit est parasité par le manque de ma mère. Depuis que mon regard s'est posé sur elle, derrière cette vitre, je n'ai plus vu son sourire. Alors, il faut la retrouver, pour donner un léger espoir à papa qui se meurt dans le silence.
C'est éclairé à l'aide d'une petite bougie que je m'extirpe de ma place pour tenter de trouver un visage semblable au sien. Au moins, si elle est là, je sais que nous ne serions pas seuls. Trouver ma mère au milieu de cet endroit s'avère compliqué.
C'est résignée que je reviens sur mes pas quand une lumière m'éblouit. Pétrifiée, je ne peux dire aucun mot, scrutant le policier qui monte et descend sa lampe sur mon corps avant de revenir sur mon visage.
— Vous n'avez pas le droit d'être ici, retournez à votre emplacement. m'ordonne-t-il en saisissant mon bras avec force.
— Je...je suis...je suis désolée, mais je cherche ma mère. essayé-je de dire alors que la pression sur mon bras devient plus intense.
— Je ne veux pas le savoir, retournez à votre place tout de suite !
Avec sa force, il m'envoie valser comme une poupée de chiffon. Je n'ai donc pas d'autre choix que de revenir aux côtés de mon père. Pourtant, quitte à avoir des problèmes, je dois lui demander de l'aide, à ce policier aussi aimable qu'une mouche. Il faut que je sache où est ma mère, c'est primordial, pour papa et pour moi.
— Est-ce que vous pouvez m'aider? Vous avez pas vu une dame du nom d'Aleksandra Muller...je ne sais pas où elle est. commencé-je alors qu'il reprend sa ronde.
Il m'ignore royalement et je ne peux hausser la voix sous peine de réveiller les personnes qui m'entourent.
Souffle un bon coup, Élisabeth.
J'amorce quelques pas pour me rapprocher de lui et, une nouvelle fois, ma demande sort de ma bouche.
— Vous devez avoir une liste non? Un document qui répertorie toutes les personnes qui sont présentes ici. Alors je vous en supplie, aidez-moi.
Rien, seul le silence me répond. C'est donc à contre cœur que j'effectue le chemin inverse pour rejoindre la seule personne qui est à mes côtés dans cet enfer.
Tandis que mes pas se font plus réguliers, mon regard se pose sur les familles endormies, collées les unes aux autres. Ce portrait est terrifiant, les saletés s'accumulent sur les vêtements, le manque d'eau creuse tous les visages.
Lorsque mon corps se pose, il se réveille et ses yeux s'affolent autour de lui jusqu'à ce qu'ils se posent sur moi. Il laisse échapper un soupir avant de prendre l'une de mes mains.
— Tu étais partie où Élisabeth, tu sais qu'il y a des règles à suivre et je m'en voudrais toute ma vie s'il t'arrivais quelque chose. m'informe-t-il.
— J'essayais de trouver de l'eau, mais rien. Ne t'en fais pas pour moi tatuś, je vais très bien, c'est pour toi que je m'inquiète. l'informé-je en remplaçant une mèche de cheveux derrière mon oreille.
— Ma fille, ça va aller, j'aurai juste aimé savoir où est ta mère. Faites qu'elle soit en sécurité, loin d'ici.
Les mots ne veulent pas sortir, je voudrais tellement la savoir en lieu sûr, qu'elle ne risque rien. Mais, mon espoir s'envole en fumée d'heure en heure. Alors, sentant sa main serrer un peu plus fort la mienne, je pose mes yeux sur la silhouette de mon père et commence à le rassurer.
— Mamusi * est sûrement en train de tricoter avec l'une de ses amies, loin de la tempête qui nous accable. Assise sur une chaise blanche, elle parle de la beauté des fleurs en cette période en imaginant comment coordonner la couleur avec ses magnifiques pelotes de laine. Puis, quand la nuit sera tombée dans son petit coin de paradis, elle lira un livre qu'elle affectionne tant avant de s'endormir sous les étoiles.
— Jesteś darem z nieba, mój aniołek*. ajoute-t-il en embrassant mon front.
— Je suis loin d'être un cadeau papa, mais je serai toujours là pour maman et toi. Ce n'est pas ce qu'il se passe ici qui nous séparera.
— C'est déjà le cas. Ta mère n'est pas là avec nous. termine-t-il en lâchant ma main avant de regarder autour de lui.
Je ferme les yeux, essayant d'échapper ne serait-ce qu'un instant à cette réalité insoutenable. Mais même dans le noir de mes paupières closes, je ne trouve aucun réconfort, aucune faille pour éloigner ma détresse.
La perte d'espoir m'envahit, m'engloutit tout entière. Je me sens comme une feuille emportée par le vent, dérivant sans but, sans destination. Il n'y a plus rien à croire, plus rien à attendre. Je suis seule, face au néant.
Inspire, expire, souffle avant de plonger.
Surtout, pense à remonter à la surface.
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Mamusi: maman en polonais
Jesteś darem z nieba, mój aniołek : tu es un cadeau du ciel mon ange
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Matricule n°1053
Historical FictionVivre, c'était leur souhait. Jusqu'à ce que l'univers décide de mettre fin à leurs rêves. En 1942, Élisabeth Muller fait partie des 12 884 personnes arrêtées et transférées au Vel d'Hiv. Pour survivre dans les ténèbres, sa seule échappatoire rest...