x. la charogne (mais pas celle de baudelaire)

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ce matin, dans le miroir mes yeux ne sont plus mes yeux
je tourne autour de moi-même, comme une bête sauvage qui rôde autour d’une proie
j’attends le meilleur moment pour lancer le coup de crocs, pour sortir les griffes
c’est ainsi, la détestation
les babines retroussées, le souffle lourd, la respiration haletante, pénible et les yeux fous
ce matin, face au miroir les larmes
au hasard, sans réellement m’en soucier, je lâche les fauves
je les laisse partir, je décide de ne plus calmer leurs ardeurs
c’est ainsi, la détestation
c’est l’inconnue du miroir qui froisse ma peau, qui la lacère sans honte aucune
dehors, la pluie et les feuilles de ginkgo
j’en ramasse une en souvenir de l’enfance et je ne sais pas si mon visage est une larme ou un sourire
l’impression que chacun de mes pas fissure l’asphalte, qu’avancer ne tient à rien
à la fac, c'est comme si je commençais à aimer l’odeur du café et du tabac
je les hume à distance, comme si je n’étais pas vraiment là
ce matin, la haine dans les yeux et l’envie fulgurante de briser le miroir
ce matin, le corps comme tombeau, comme dernier refuge
si je te regarde mais que tu ne me vois pas je deviens un déluge de larmes
la feuille de ginkgo dans la poche, je pense à la joie d’être enfant

je me vois dans l’automne, la silhouette du frère non loin, jouer et ramasser toutes les feuilles en forme de pattes de canard

mon rire d’enfant me manque
aujourd’hui quand je ris j’ai l’impression de pleurer
je marche au rythme de la musique que j’écoute et je n’évite pas les flaques d’eau
dehors, l’automne et mes vestiges de l’été
dehors, la peau brunie de ceux qui errent dans le soleil
j’ai une pensée pour les fauves qui me courent après alors je ralentis le pas,
je me prends les pieds dans les racines goudronnées et personne ne me voit tomber ;
c’est comme si je ne tombais pas
ce matin, les éclats de miroir sous les pieds et la vie que je m’invente
ailleurs, les cheveux relevés sur la nuque et les souvenirs du flamand rose tatoué sur l’épaule
j’y pense en me disant que je n’y pense pas
j’y pense sans vouloir y penser
ce soir, le tombeau du lit et le souffle qui y meurt en premier
la présence de cette solitude démente, de cette absence qui rôde et grogne
l’absence ou l’aboiement des chiens
je crois que je t’oublie
je pense à l’enfance et à cette vie dans laquelle tu n’existes plus
c’est ainsi, la détestation
la feuille de ginkgo est une offrande à moi-même, un talisman, un symbole de paix
la feuille de ginkgo l’odeur du café noisette l’odeur de la cigarette l’odeur du parfum de maman qui reste sur le pelage des chats l’odeur du vernis l’odeur du feu de cheminée qui vient de chez a. l’odeur de la pluie sur le macadam l’odeur des fleurs fanées sur la table l’odeur de la lessive de mamie l’odeur de la mer ou du chlore sur la peau l’odeur effacée de m. dans mon lit l’odeur des marrons grillés l’odeur des inconnus l’odeur des livres
et sans y penser l’odeur de tout ce que j’ai perdu
ma boîte à souvenirs est pleine pourtant la sensation d’avoir tout perdu est vive, incandescence, brûlante
par mégarde, une fois j’ai oublié de la fermer et mes souvenirs se sont volatilisés
depuis, chaque soir à ma fenêtre, j’attends que reviennent les hirondelles
ce que je regrette au fond c’est d’avoir laissé mes souvenirs devenir des fantômes
c’est ainsi la détestation

si je ferme les yeux assez fortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant