xix. et enfin le mot de trop

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le mot arrive sans prévenir, comme une étrangeté
mais, au fond, le sentir glisser sur ma langue comme une évidence ;
le deuil
la certitude, enfin, que le vide de mes jours a un nom
d'un coup, je comprends que ce gouffre, cette béance tient dans un mot ;
le deuil
le deuil je ne sais pas
le deuil je n'ai jamais voulu savoir
le deuil fermer les yeux, s'agrafer les paupières et, à l'aveugle, briser le miroir
le deuil je te hais je te hais je me hais
le deuil écrire des lettres sur du papier kraft écrire dans le carnet de l'enfance écrire dans ma tête
le deuil j'aimerai que tu sois là
le deuil ou la chasse aux fantômes, aux disparus, aux échappés, aux esseulés
le deuil des cheveux relevés qui débordent sur la nuque
le deuil de ce qu'il restera quand il n'y aura plus rien ici, entre nous
le deuil si je ferme les yeux si je n'existe plus
le deuil du flamand rose sur l'épaule
le deuil des yeux baïne, rivière ou océan
le deuil s'il te plaît aime moi
le deuil de mes même pas vingt ans
le deuil de la cigarette jamais fumée
le deuil si j'avais su
le deuil illusion entre parenthèses
le deuil comment on oublie le visage d’un mort ?
le deuil de mes portes clés égarés
le deuil je rêve encore
le deuil tu es beau
le deuil des feuilles de ginkgo du bout de la rue
le deuil j’ai cessé d’être dans l’enfance
le deuil de ce que je ne veux pas perdre
le deuil je n’ai pas vécu
le deuil des serpents sous ma peau
le deuil de l’énigme de la couleur de tes yeux
le deuil regarde moi encore
le deuil de la détestation
le deuil ne te regarde plus
le deuil des égratignures sur les mains sur les phalanges
le deuil les quatre cicatrices invisibles sur l’avant bras gauche
le deuil du neuf décembre
le deuil de l’été je ne veux pas
le deuil de ton absence
le deuil de l’inconnu
le deuil de ce qui se donne à voir comme une certitude
le deuil je t’aime
le deuil des fleurs sur la table et dans les fleurs mon visage qui n’est plus mon visage
le deuil rends moi ce foutu visage
le deuil étrangler la colère lorsqu’elle s’assoupit
le deuil du chlore sur la peau
le deuil des ami-es que l’on ne voit pas disparaître et de ceux qu’on ne voit pas réapparaître
le deuil tomber amoureuse
le deuil lire une livre pour la première fois
le deuil qui dit papa je ne suis plus une enfant
le deuil je pensais que le désamour n’existait pas
le deuil j’écris toujours la même chose
le deuil des gens qui écrivent au stylo plume
le deuil l’italie me manque
le deuil l’odeur du tabac et du café noisette
le deuil du chat de l’enfance
le deuil je vois encore les cheveux relevés qui débordent sur la nuque
le deuil des éclats de miroir et du sang
le deuil je ne me reconnais pas
le deuil j’aimerai être enfant encore une fois
le deuil de novembre, cet assassin
le deuil allons boire un verre en terrasse
le deuil je veux faire la fête à en oublier mon visage
le deuil l’ivresse et l’envie de fumer
le deuil je n’arrêterai jamais de dessiner des soleils
le deuil ce soir je vais pleurer
le deuil si je rêvais encore de toi
le deuil tu vas me manquer
le deuil je ne te connais pas mais tu vas me manquer
le deuil je te connais trop tu vas me manquer
le deuil de demain ou d’hier je ne sais plus
au fond, si je ferme les yeux c’est pour faire taire cet assourdissement du deuil
endeuillée, voilà je suis endeuillée

c’est ça, endeuillée

et si je ferme les yeux assez fort je saurai les ouvrir sur les vies que le deuil laisse intactes

fin
-

salut, tout d'abord merci d'être là, d'avoir lu tout ça.
ce n'est pas très joyeux et j'en suis désolée mais ça représente bien ma vie depuis plusieurs mois. j'ai écrit tout ça entre septembre et aujourd'hui, il y a beaucoup de choses qui reviennent parce qu'elles étaient en boucle dans ma tête. j'ai l'espoir qu'avoir posté tout ça y mette une sorte de point final.
je ne sais pas trop de quoi je parle dans tout ça, je parle sûrement de trop de choses. le 'tu' que j'évoque est multiple, il réfère à plusieurs personnes et je trouve important de le notifier.
enfin bref, j'espère que tu as apprécié ta lecture en tout cas :)

bonne soirée/nuit/journée
— fau 🌻

si je ferme les yeux assez fortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant