Le sommeil ne vint pas.
Allongée dans cette chambre immaculée, je fixais le plafond, incapable de fermer les yeux. Tout ici respirait une froide perfection. Les draps de soie, la lumière tamisée, l'odeur subtile du linge frais : tout semblait soigneusement calculé pour donner l'illusion de sérénité. Mais je savais. Je savais que ces murs, ces draps, cette perfection glaciale, avaient été payés au prix du sang.
Tout en moi criait que je n'appartenais pas à cet endroit. Pourtant, je n'arrivais pas à bouger. C'était comme si ces quatre murs m'écrasaient, me prenant au piège. Mon esprit tournait en boucle, explorant des souvenirs que j'aurais voulu oublier à jamais.
Je fermai les yeux, espérant trouver un semblant de répit. Mais à la place, un souvenir refit surface. Brutal. Implacable.
J'avais 16 ans.
C'était une journée comme une autre. Mon père, Javier Gastando, était rentré brièvement, le visage fermé. Ses visites étaient rares, ses absences prolongées. Maman nous disait toujours que c'était pour "le travail". Mais ce jour-là, une curiosité que je ne pouvais pas expliquer s'était emparée de moi.
Quand il avait quitté la maison, précipitamment, je l'avais suivi.
Sa voiture m'avait menée dans une zone industrielle déserte, loin de la maison et de ses apparences soignées. Des entrepôts abandonnés se succédaient, leurs façades rongées par le temps. J'avais garé ma petite voiture à distance et avancé à pied, l'adrénaline battant dans mes tempes.
Je m'étais cachée derrière une pile de caisses en bois.
Mon père se tenait là, entouré de ses hommes, une valise dans une main, un cigare dans l'autre. Face à lui, un groupe d'hommes plus jeunes, tatoués, mal rasés, le genre qu'on imagine sortir tout droit d'un gang.
Au début, tout semblait calme. Les échanges étaient discrets, mesurés. Mais rapidement, l'atmosphère s'était chargée de tension. Une voix s'était élevée, plus forte, plus menaçante. Et puis tout avait éclaté.
Le premier coup de feu avait retenti, suivi par d'autres.
Je m'étais accroupie derrière ma cachette, les mains sur les oreilles, tremblant de peur. Mon cœur battait si fort que j'avais l'impression qu'il allait exploser.
Quand je levai les yeux, je vis mon père.
Il était au centre du chaos, immobile, son visage d'une froideur que je ne lui avais jamais vue. Alors que ses hommes ripostaient, il avançait lentement, d'un calme terrifiant.
Puis il l'avait attrapé.
Le chef du groupe adverse, un homme grand et imposant, avait été désarmé et jeté à genoux devant lui. J'avais cru que c'était terminé, que la violence allait s'arrêter. Mais mon père avait dégainé un couteau.
Je ne pouvais pas détourner les yeux.
D'un geste net, calculé, il avait tranché la gorge de l'homme avant de lui prendre la tête. Le son... Je ne l'oublierai jamais. Ce n'était pas seulement un meurtre. C'était un message.
« Qu'ils sachent ce qui arrive à ceux qui me trahissent. »
Sa voix avait résonné dans l'entrepôt comme un coup de tonnerre.
J'étais paralysée. Ce n'était plus mon père que je voyais. C'était un monstre.
Je me redressai brusquement dans mon lit, le souffle court, le cœur battant à tout rompre.
Ce souvenir, malgré les années, avait conservé toute sa force, toute sa noirceur. Il m'avait poursuivie, hantée, et même aujourd'hui, il m'empêchait de respirer.
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Le masque de l'ombre
RomanceJe pensais que l'ennemi, c'était ce monde tordu que je détestais, celui que mon père et Caleb ont façonné avec leurs mains tâchées de sang. Mais à mesure que je plonge plus profondément dans cette noirceur, je comprends que je me trompais. L'ennemi...