Chapitre 3

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L'ensoleillement soudain lui frappe la rétine tandis qu'elle cligne des paupières . Elle ne voit rien que du blanc, sent juste le sol qui s'est transformé sous ses pieds en une pierre lisse et tiède.Elle attend, un peu niaisement, que ses yeux reviennent en face des trous, et laisse échapper un sifflement un peu raté. Des vitres.Immenses. La galerie des glaces. Un palais de transparence. Dos au mur, face au vide, elle palpe l'incroyable et se sent minuscule. Le couloir rectangulaire dans lequel elle se trouve, au premier étage,domine et encadre un jardin fermé. Sous ses pieds, au milieu d'une pelouse verte et arrogante, une piscine. Scotchée à la vitre,excitée comme à la veille de Noêl, elle déballe ce cadeau imprévu : le bleu de l'eau lisse, cassé par le marbre doux qui l'entoure, est discrètement rappelé ça et là, par des parasols et des transats sagement alignés. Un plongeoir domine le tout, il arrive presque à sa hauteur. Elle recule un peu, ne se pince pas.Elle ne se pince plus depuis longtemps, le matin. Elle longe le couloir lentement, y compte neuf portes, mais ne s'y risque pas. Le sol, doux, noir et mat, lui repose les yeux. Le mur, d'un blanc cassé, porte pour toute décoration des cadres dorés, et vide. Ils encadrent une parcelle de mur, et rappellent à quel point l'endroit,tout seul, est une œuvre d'art. Alors qu'elle se lance dans la contemplation du rez-de-chaussée, vitrifié également, dont elle aperçoit de sa cage transparente quelques éléments, elle est surprise dans sa rêverie par la découverte d'un groupe de personnes au fond du jardin, attablés, sous ce qui ressemble à une véranda géante. Étonnée de ne pas les avoir remarqués plutôt, elle réalise que la véranda se situe juste sous le dortoir dans lequel elle a passé la nuit. Mal à l'aise, elle se demande si ce sont là les gens avec qui elle a partagé sa nuit de fête et d'abus. Elle nesouhaite pas particulièrement découvrir leur témoignage éclairé de ce qu'elle a pu faire, ou ne pas faire, dans un état plus que second. A l'instant même où elle se décide à décamper en catimini, une jeune fille assise sous la véranda l'aperçoit et lui fait un discret signe de la main. Dans le même temps, trois autres têtes se retournent et l'observent avec intérêt. « Trop tard. »

Elle emprunte, dans un angle du couloir, un escalier en U,entièrement en verre. Sans trop prêter attention à ce qui l'entoure, elle traverse un immense salon, bien décidée à expédier cette rencontre embarrassante. Elle n'a jamais eu de mal à discuter avec les gens. Parler, c'est autre chose. Une porte coulissante s'ouvre lentement devant elle, elle pénètre alors dans le jardin avec l'étrange sensation de rentrer dans un supermarché. Ça la fait doucement rire tandis qu'elle foule légèrement la pelouse,longe la piscine, les transats, et découvre époustouflée une véranda largement de la taille de son appartement. Entièrement ouverte sur le jardin, mais couverte par le premier étage, son carrelage vert pelouse et blanc agrandit curieusement l'espace. Au fond, un mur tapissé d'eau, recueillie dans une petite fontaine et réutilisée dans un cycle délicieusement clapotant. A gauche, un mini-bar en bois massif, bien fourni, longe le mur et surplombe un canapé d'angle violet pâle, des poufs, et une table basse. Adroite, un salon de jardin disproportionné, composé d'une table blanche et ronde, supportée par des pieds en patte de lion. Dix chaises l'entourent, tandis qu'en son centre un plateau tourne sur lui-même, lentement, proposant croissants, petits pains, café,confitures, jus de fruit...

« Bonjour ! »

Elle ne peut plus faire marche-arrière et éviter les deux hommes et les deux jeunes femmes qui l'observent avec attention. Le plus âgé d'entre eux se lève, lui serre énergiquement la main tout en lui décochant un sourire travaillé. La quarantaine bien tassée, il al'air chez lui, l'invite à s'asseoir, lui offre un café, tout en se présentant. « Pascal. » « Éloïse ». Tout en fixant silencieusement son café, mal à l'aise d'être ainsi le centre de l'attention de parfaits inconnus, elle se cherche une contenance et fouille ses poches à la recherche de cigarettes.Vides. « On peut trouver des clopes dans cet hôtel ? »Vif et serviable, Pascal se dirige vers le mini-bar, entre-ouvre une porte située sur le devant, saisit un paquet de cigarettes parmi une bonne centaine d'autres, le lui lance en l'interrogeant avec curiosité :

La maison des Guidés (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant