Chapitre 16

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Tout au long de l'après-midi, les habitants défilent au cagibi pour leur requête de la semaine. Petit Louis, qui ne comprend rien aux explications des grands,demande simplement à voir sa maman. Il plane une sorte d'ébullition dans l'atmosphère, comme une veille de départ en vacances. Tous émettent des hypothèses sur la nature des défis à venir, et les conjonctures les plus improbables vont bon train. Les idées d'Aymeric et Alexandre tombent doucement dans le grand n'importe quoi, et l'ambiance est à la détente et à la rigolade :

« Et si on nous demandait de vivre à poils ? », lance Aymeric. « Ou de boire l'eau de la piscine ? Ou de manger le Petit Louis ? »

Louis, qui aime quand on parle de lui, fait en courant le tour de la pièce en hurlant « aaaaaaaaaah on veut me manger ! ».

« J'espère que ce ne seront pas des questions de culture générale »,  ajoute Anémone, « je suis ridicule au Trivial Pursuit. »

« C'est le but du jeu »,lui répond Fanny, « faire sentir aux gens à quel point il ssont cons et incultes. »

Pascal lève les yeux au ciel :à ses yeux, les jeux de société sont une stimulation intellectuelle, un moyen de faire passer le savoir en s'amusant, une manière tout à fait pédagogue de remplacer le travail des enseignants, qui sont, qu'on se le dise, tous incompétents. Mais il garde ses pensées pour lui, jugeant qu'il n'y a rien de pire que de dire quelque chose d'intelligent dans une pièce remplie d'imbéciles.Éloïse s'est détendue. Elle s'attendait à des reproches, mais personne n'est revenu sur son refus d'aider Louis. Tous semblent avoir compris que des enjeux plus importants étaient en cause. Elle s'attache à ce petit groupe, qui ne lui veut pas de mal. Elle espère remplir sa mission au mieux, pour obtenir enfin ses neuroleptiques.Elle cherche à entamer une conversation avec Eugénie, mais ses réponses monosyllabiques la refroidissent ; cette jeune femme la met mal à l'aise. Elle a souvent constaté que ce sont les gens mal à leur aise qui mettent le plus mal à l'aise, et tente de dépasser cette première impression, mais Eugénie, quoique souriante, ne semble pas réceptive à ses efforts.

L'air se rafraîchit, et la lune fait son apparition, juste au-dessus de la maison. Ce carré de ciel est leur seul contact avec le monde extérieur, et ils profitent de cette vue reposante. Ils comprennent tous qu'ils s'échappent petit à petit de la vie ordinaire, et que l'univers rétrécit comme une peau de chagrin, pour se limiter aux quatre murs infranchissables de la maison. Toutes leurs émotions semblent devoir être contenues ici. Ils oublient leurs amis, leur famille,l'essentiel. Ils se sentent à part, seuls, vivant une aventure symbiotique et déroutante, qu'eux seuls pourront jamais comprendre.Inconnus les uns des autres, mais liés les uns aux autres. Petit Louis demande s'ils vont voir une étoile filante, mais comme Marianne lui répond que c'est peu probable, il change son fusil d'épaule et demande à manger. Alors que Fanny se lève pour s'en occuper, la voix du Guide l'interrompt en plein mouvement :

« Chers Guidés, vos requêtes ont été prises en compte, à vous maintenant de tout mettre en œuvre pour mériter ce que vous souhaitez. J'ai été, je l'admets, positivement étonné de la motivation collective pour aider l'enfant. C'est tout à votre honneur, mais cela n'influera en rien sur la difficulté des défis. À partir de maintenant, je vous conseille vivement de ne plus rien prendre pour argent comptant. Ce que vous croyiez acquis ne le sera bientôt plus, et vos nerfs vont être mis à rude épreuve. Les prochaines requêtes s'effectueront dans trois jours. Ceux à qui sont destinés les défis de ce soir vont être appelés, dans l'ordre, au cagibi. Interdiction totale de parler de sa mission à qui que ce soit. Louis, tu es le premier attendu. »

Louis semble un peu effrayé,et aussi contrarié.

« Mais, Monsieur, j'ai faim, je veux manger. »

La maison des Guidés (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant