Chapitre I - Aiden

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Le mouvement de la flamme a quelque chose de fascinant. Elle penche sa mèche d'un côté, de l'autre, comme la petite tête d'un enfant curieux, puis de nouveau, elle se tient droite, au garde-à-vous. Parfois, elle s'agite, secouée par une force inconnue. Elle grandit, rapetisse, tournoie, s'immobilise, tout cela au rythme de mes mains.

Ça aussi, c'est fascinant.

Cette capacité que j'ai développée.

Ce don.

Ce pouvoir.

Je tremble à cette appellation, un long frémissement qui descend avec une lenteur amusée le long de mon dos.

La flamme m'imite. Elle grelotte, et je trouve ça assez ironique, étant donné que c'est une flamme. Je souris, mais le cœur n'y est pas vraiment.

En vérité, je suis complètement perdue. Je ne sais pas si je dois fondre en larmes ou exploser de rire parce que la situation est absurde. Rien de tout ça ne peut être vrai. Les faits sont là, devant moi, tandis que le feu croît en même temps que j'élève les mains vers le haut, et pourtant c'est trop dur à croire.

Trop incompréhensible.

Je ne suis que désarroi, peur, - peur de ce don que je ne connais pas et dont la puissance m'effraie -frustration, - frustration de ne pas comprendre - et colère. C'est une rage sourde, qui bouillonne au creux de mon ventre, jusque dans mes tripes. Tous ces sentiments, si contradictoires et intenses, ne me ramènent qu'à une seule question. Pourquoi ?

Pourquoi moi, pourquoi maintenant, pourquoi ça ?

Les pensées se bousculent, s'amassent dans une cacophonie affolée, et je n'arrive pas à en extirper une seule.

De nouveau, la colère gronde en moi. Mes mains ne cessent de monter, la flamme ne cesse d'enfler. Elle est rouge, rouge flamboyant, la couleur de la rage, la couleur du sang. Je trouve ça beau, alors je continue. J'éprouve un plaisir malsain à la voir frôler la poutre de bois au plafond.

Je pourrais faire cesser les questions. La maison prendrait feu et finirait en un petit amas de cendres, comme mon corps devenu incontrôlable, mes questions et ce calvaire.

Mais alors je pense à mon père en train de cuisiner, son vieux tablier sale et un torchon nonchalamment jeté sur l'épaule. À ma mère et ses gestes tendres. À ma petite soeur, trop jeune pour imaginer la chape de plomb qui vient de s'écraser de toute sa masse sur mes épaules.

Ce n'est pas leur faute.

Ils ne doivent pas subir les conséquences.

La colère s'éteint et la flamme aussi. Les larmes se mettent à affluer d'elles-mêmes, capricieuses petites perles découlant d'un sentiment inexplicable. Les sanglots suivent vite, accentués par des hoquets trop bruyants.

Mes pleurs se transforment en une litanie déchirante. Je voudrais m'arrêter, cesser de faire autant de bruit avant d'alerter ma famille.

Je finis bien par m'arrêter quand quelqu'un frappe deux petits coups sur la porte. Ma mère entre avant même que je lui en donne l'autorisation, me surprenant en plein délit de tristesse. J'ai juste le temps de m'essuyer les yeux d'un coup de manches trop grandes pour mes petites mains - des mains à la puissance insoupçonnée.

- Aiden ? demande ma mère. Mais qu'est-ce qui se passe ?

Je vois bien qu'elle est stupéfaite et désarmée, tout autant que moi en fait. Tout allait encore pour le mieux lorsque je suis revenue du lycée, quelques heures plus tôt.

C'est en voulant allumer une bougie, geste effectué chaque soir par pure coquetterie, que j'ai sans le vouloir mis mon doigt en plein sur le briquet. J'ai été surprise de constater que je ne ressentais aucune douleur. Suspicieuse et intriguée, pendant plus d'une heure, je me suis livrée à toutes sortes d'expériences, de plus en plus dangereuses. Et, très vite, j'en suis venue à ce constat : le feu ne m'atteint pas, parce que je le contrôle.

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