Cher ami

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Seuls dans l'immense salle, Avenaar et Anshu n'osaient briser ce silence nerveux qui planait dans la pièce. Avenaar ne savait comment s'y prendre. Quel ton devait-il employer pour aborder un ami qu'il ne reconnaissait plus ? Peut-être fallait-il qu'il joue la carte de l'humour : « J'ai l'impression qu'il y a du curry dans le gaz entre nous. » mais ce mot semblait à bannir dans cette situation. Devait-il jouer franc jeu, lui raconter l'épisode de cette mystérieuse lettre, voire même lui parler d'Arnold, ce personnage austère qui disait le connaître alors qu'il ne l'avait jamais vu. Ou encore, il pourrait choisir l'hypocrisie pour éloigner encore un peu plus la réalité de la situation, mais à quoi bon ? Se voiler la face, sauvegarder une amitié. Il était trop tard pour prendre en compte ce genre de considération.

« Tu t'es bien foutu de ma gueule, hein Anshu ? »

Dure, sévère, brutale, une parfaite entrée en matière à la sauce Avenaar. Soutenant toujours son regard, Anshu semblait néanmoins déstabilisé :

« Ecoute, Avenaar, tu peux... »

« Oh, arrête avec tes conneries ! Je ne suis pas débile au point de hocher de la tête pour chacun de tes mensonges. Tu savais que je ferai partie du voyage mais tu as préféré me jouer ton petit numéro de comédien et même maintenant, tu continues à nier la vérité ! »

Avenaar savait qu'il s'était un peu trop emporté mais cela lui faisait un bien fou. Il avait l'impression pour la première fois de sa vie qu'il avait un coup d'avance sur les autres et sur Anshu. Son vieil ami ou son récent ennemi, selon les points de vue, avait pris une chaise et s'était assis pendant qu'Avenaar l'interpelait à grand coups de gueulantes. Froid, serein, il portait un regard indifférent à son ex-compagnon de cellule. Cela avait le don de l'énerver. Anshu attendit un certain temps avant de répondre comme s'il pesait le pour et le contre : mentir ou dire la vérité, énerver ou calmer la bête. Puis, calmement, il répondit :

« J'avoue. Je savais que tu ferais partie du voyage et oui, j'ai joué la comédie. En fait, si tu veux tout savoir, on m'a interdit de te parler de quoi que ce soit en rapport avec ce programme . Et alors ? Ton comportement aurait changé si je t'avais dit la vérité ? Tu n'aurais pas signé ? Arrête de te voiler la face, ces types sont puissants et dangereux, j'ai donc trouvé inutile de les contrarier en disant la vérité à un vulgaire compagnon de cellule que je ne connais presque pas. »

Avenaar reçut cet uppercut en pleine figure l'envoyant directement dans les cordes. La haine qui l'avait animé tentait d'humidifier le visage tuméfié d'Avenaar pour le faire repartir au combat mais en vain. Avenaar était désemparé. Que devait-il répondre à ça ? Il baissa la tête. Il ne lui restait plus qu'une seule carte en main. Un dernier sursaut d'orgueil qui pourrait peut-être déstabiliser son adversaire. Il posa alors son regard sur la main bandée d'Anshu en repensant à cette lettre aux majuscules ensanglantées. Puis, dépité, il reprit avec un air grave :

« Alors Anshu, si 30 ans , c'est rien pour toi, je ne sais pas ce qu'il te faut ! »

« T'es complètement perdu, Avenaar, on ne se connait que depuis quelques semaines. »

Encore un poignard qu'Avenaar reçut en plein cœur, une mort certaine, triste et solitaire sauf si...

« Et c'est quoi cette blessure ? T'as encore un ramassis de conneries à me servir, Anshu ? »

« De quoi tu parles ? »

Avenaar pointa du doigt la main blessée d'Anshu puis reprit de plus belle :

« C'est quoi cette blessure ? », cria-t-il le plus fort qu'il put.

Sa voix avait résonné dans tout le vaisseau. Ce volume aurait pu tirer Ezraëlle de sa folie voire même rendre Fei moins froide mais Anshu, lui, restait impassible. Il planta son regard dans celui d'Avenaar et d'un ton menaçant rétorqua :

« Si je peux te donner un conseil, tu ferais bien de fermer ta grande gueule si tu veux rester en vie. »

Il s'avança, poussant Avenaar de l'épaule, se dirigeant vers la porte de sortie quand soudain un rayon de soleil, qui avait réussi à se frayer un chemin à travers une des fenêtres du hangar avant d'atterrir dans la salle de conférence, se posa sur son épaule. Avenaar eut un sursaut de nostalgie. Peut-être fera-t-il revenir Anshu à la raison ? A demi-mots, en regardant le rayon de soleil, il dit alors :

« Anshu veut dire «rayon de soleil »et Bimala signifie « pur » considère ce rayon de soleil comme un bout de moi. Tu vas me dire que ça tu ne me l'as jamais dit, hein ? »

Anshu prit un air condescendant :

« Ecoute Avenaar, tu devrais te reposer, tes idées ne sont plus claires. Jamais je ne t'ai dit ça, tu es encore en train de divaguer. Et puis, en plus, Anshu et Bimala, ça ne veut rien dire en Indii. »

Au bruit de ses pas la porte s'ouvrit puis Anshu disparut laissant Avenaar en proie à ses propres démons. Petit à petit, il comprenait que sa vie n'était qu'un mensonge. Qui était-il vraiment ? Cet Arnold en prison lui avait parlé d'un effacement de mémoire, il commençait véritablement à y croire. Cela expliquerait tout : sa difficulté à reconnaître sa femme, son fils, sa fille mais aussi les incohérences qu'il y avait entre sa vision et celle d'Anshu. Il ne savait plus quoi penser ni quoi faire : il était perdu. Lui qui pensait avoir un coup d'avance, en avait en réalité huit de retard et cela le terrifiait. A qui pourrait-il faire confiance s'il ne pouvait pas se faire confiance à lui-même ? Il se releva de sa chaise, qu'il n'avait que bien trop longtemps occupée et sortit de la salle. Il jeta un regard à sa montre qu'on lui avait offerte en même temps que son uniforme : il se faisait tard et la faim le tenaillait.

Il se mit alors en quête de la cantine en s'aidant tant bien que mal des plans placardés sur les murs du vaisseau. Après de longues minutes à se perdre dans ce dédale de pièces, il parvint enfin à un immense réfectoire où s'impatientait déjà tout l'équipage, couvert à la main. L'un d'eux sortait du lot comme à son habitude. Aristote portait sa serviette en bavoir. Il était assis à côté de Fei qui ne cessait de lever les yeux au ciel montrant ainsi son dédain pour le robot. Les sœurs jumelles, elles, étaient assises en face et n'avaient pas de couverts mais deux couteaux parfaitement aiguisés. Bouffer de l'Aristote ne leur aurait posé aucun problème, mais on voyait à leurs yeux qu'elles préféraient le sang au fer. Près de Fei, Ezraëlle avait écarté sa chaise et était assise par terre ne laissant que sa tête dépasser de la table. Elle portait sa fourchette à l'envers mais son enthousiasme était débordant. Elle restait toujours aussi folle et aussi décalée. En face d'elle, une autre femme qu'Avenaar ne connaissait pas. Portant une tunique violette avec des manches noires, elle semblait silencieuse et ne participait pas au brouhaha qui s'était emparé de la cantine. Dans son dos, il était écrit en lettres d'or « Gabriela ». Son prénom peut-être ? Une ancienne détenue assurément . Enfin, en bout de table, on retrouvait Anshu tentant d'enlever le bandage qui lui serrait la main. Cette blessure pour laquelle il n'avait donné aucune information restait suspecte. En face d'Anshu, Edwig était là, sûrement pour passer un dernier repas avec son équipage. 

N'osant toujours pas entrer, Avenaar regardait la scène à travers la porte vitrée du réfectoire. Un homme barbu, tenant dans ses mains une grande marmite, portait une immense hache dans son dos. Son accoutrement guerrier contrastait fortement avec son long tablier qu'il s'évertuait de dénouer. Ils avaient l'air heureux, tous, acclamant l'arrivée du repas par des cris de joie. On pouvait dire qu'il y avait une bonne ambiance, ce qui réjouissait fortement Edwig qui aimait voir cette belle entente. Avenaar parvenait à entendre malgré le verre qui le séparait des autres : « Pedro, Pedro, Pedro ! » sûrement le prénom de ce guerrier-cuisinier. Pedro prit sa place entre Mandjita, la naine et celle qui s'appelait Gabriela toujours réservée à un silence éternel. Sur ce, Avenaar entra. Il y eut un silence quasi-immédiat devenant même gênant. Fei prit alors la parole :

« Capitaine, il ne manquait plus que vous. Venez prendre place parmi nous ! »

***

Voilà le chapitre 5 avec un retard énorme mais il est là ! J'ai eu pas mal de mal à l'écrire parce que je me perdais dans ma propre histoire avec tous ces personnages. Il a fallu que j'y mette de l'ordre pour que ce soit agréable à lire et à comprendre. C'est pour cela que ce chapitre est plus court que les précédents parce que je préfère que ce soit mieux écrit qu'en écrire trop. Le prochain chapitre va paraître bientôt (Il est écrit mais il faut que je le tape). Merci encore et à bientôt !

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