Un festin qui donne des ailes

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Avenaar l'homme-sombre, Avenaar le détenu, Avenaar le condamné à mort, le criminel, l'ignoble. C'était ce qu'il avait toujours pensé de lui et de sa vie mais à cette tablée, un autre homme était né. Tel un serpent quittant une vieille peau pour s'en forger une nouvelle. Il était désormais Avenaar le capitaine, Avenaar le pilote, Avenaar le souriant. Il était Avenaar, quoi ! Il se sentait lui-même et cette sensation lui était toute nouvelle. Pour autant, il n'oubliait pas de rester sur ses gardes : celui qui lui avait envoyé une menace par lettre était autour de cette table. Prudent mais souriant serait un assez bon résumé de l'attitude qu'avait Avenaar. En face de lui Pedro haranguait la foule en présentant le repas qui s'offrait à eux.

« Mes amis, pour notre dernier repas sur Terre, je vous propose une denrée qui se fait rare en ces temps compliqués : du poulet !!!! »

L'excitation fut immédiate. Même Fei avait quitté son masque fermé pour arborer un large sourire laissant entrevoir ses dents d'une blancheur exceptionnelle. Près d'Avenaar, Ezraëlle murmurait à sa chaise : « T'as vu on va avoir le droit de manger du poulet. N'est-ce pas magnifique ? », finit-elle dans les aigus. De l'autre côté de la table, Gabriella ne montrait aucune effusion de joie, en tous cas pas apparente, mais Avenaar voyait tout de même que son œil frétillait à l'idée de goûter à cette chair tant convoitée par les 14 milliards de Terriens. Et que vous dire des sœurs jumelles ? Ezra tout comme Mandjita bavait déjà, les yeux ingurgités de sang. Elles ressentaient une pulsion animale qui ne cessait de les rapprocher de l'odorant fumet émanant du poulet parfaitement cuit. Même Anshu semblait heureux. Ce poulet allait changer de cette bouillie qu'on leur donnait en prison. Et pour une fois Aristote n'en faisait pas trop. Il avait un large sourire, certes, mais il ne détonait pas avec celui des autres membres de l'équipage.

Pour tout vous dire, même Avenaar ressentait cette forte adrénaline le parcourir. Il était enthousiaste, voire totalement fasciné par le plat qui n'attendait qu'à être dévoré. A vrai dire, il était très rare de trouver encore du poulet sur Terre. D'ailleurs, il était rare de trouver quoi que ce soit à manger sur cette foutue planète. Ils ne faisaient qu'avaler des racines de plantes trop acides pour être agréables en bouche ou encore des bouillies d'insectes, souvent des cloportes et des cafards, bien trop dégoûtantes. Mais aujourd'hui, lui, Avenaar Berhoune, sûrement l'homme le moins méritant du monde, allait goûter pour la première fois de sa vie du poulet, du vrai. Pedro commençait déjà à en couper des bouts qui retombaient dans l'huile du plat dans un clapotis alléchant à faire saliver plus d'une bouche. Il servit ensuite une part à chacun des membres de l'équipage, qui à peine après avoir reposé leur assiette, entamait le poulet avec une rage monstre. Pedro entonnait des petits commentaires lorsqu'il déposait les bouts de poulet dans l'assiette jusqu'au tour d'Avenaar :

« Et une aile pour le Capitaine Berhoune puisqu'un pilote ne vole jamais sans ses ailes ! »

Il y eut un léger silence entre les deux hommes puis avec un grand sourire, Pedro reprit :

« Vous me rappellerez de ne plus faire de blague, Capitaine ! »

« Je n'y manquerais pas ! », répondit Avenaar dans un éclat de rire.

Rare était les fois où il riait mais cette atmosphère conviviale combinée à l'odeur du poulet le rendait heureux. La dégustation s'effectua dans un silence royal. On n'entendait que les bruits de succion de la chair entre les dents. Avenaar trouvait cela tellement bon. Il tentait de garder cette saveur qui emplissait sa bouche pour ne plus jamais la quitter mais à quoi bon, autant profiter de l'instant présent. Peut-être que sur cette planète habitable qu'ils allaient tenter de découvrir, on mangeait aussi un poulet en ce moment-même. L'univers était vaste mais le partage d'un bon repas en gommait l'immensité. Ce qu'il préférait dans l'aile c'était cette partie croquante qui donnait son goût à la chair. L' « os » comme Pedro aimait le dire. Il préconisait de ne pas le manger mais depuis quand Avenaar faisait ce qu'on lui disait ? Et encore il avait aussi mangé la viande alors qu'Ezraëlle, elle, n'avait mangé que les « os ». C'était un dernier repas terrestre réussi.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 07, 2015 ⏰

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