J'aimais parler d'amour mais je me demandais si je savais ce que c'était. Je lisais des bouquins dessus, des tas de romans où un gars tombait amoureux d'une fille, où un gars tombait amoureux d'un autre gars et tous ces trucs. Moi, je pensais que l'amour, c'était les papillons dans le ventre, les étoiles dans les yeux et toutes ces merdes cités par les écrivains. Et maintenant, quand je regardais ma vie sentimentale, je me demandais si c'était pas cette obsession que j'avais développé pour une pute sur Clarendon Street.
Ce que j'aimais le plus chez cette fille, c'était sa démarche, la façon qu'elle avait de rouler des hanches et surtout, la façon qu'elle avait de jouer avec ses cheveux. De longs cheveux blonds qui frisaient à des endroits. Surtout à cause de la pluie. Et même quand ses joues étaient couvertes de maquillage et que ses cheveux lui collaient au visage, je la trouvais belle, cette fille. Elle était belle tout le temps. Quand elle jouait avec une mèche de ses cheveux, la nouant et dénouant, alors qu'elle était debout, à côté de l'arrêt de bus. Elle ne cherchait pas à séduire, elle semblait s'ennuyer la plupart du temps ou alors, rêvasser. Comme si elle était là sans vraiment y être, perdue dans son monde. Peut-être rêvait-elle aussi de ces histoires d'amour dont on ne parlait que dans les romans ? Elle aussi, elle avait dû nourrir les mêmes rêves que moi, avoir les mêmes ambitions... Et elle se retrouvait là, à quelques mètres de moi, sans que je ne l'approche. Elle était une poupée de chiffons chez un brocanteur, une pièce de collection que j'aimais regarder sans jamais m'approcher, de peur de la briser. Mais brisée, elle devait déjà l'être pour se retrouver en plein mois de Janvier, alors que la neige recouvrait les trottoirs de Manchester. On passait devant elle mais on ne la voyait pas. Elle était là depuis bien trop longtemps, elle faisait déjà partie du décor et j'avais mal de la savoir dehors par cette nuit d'hiver.
J'avais prié pourtant, longtemps espéré que les moins quatre degrés Celsius qui avaient dehors la pousserait à rentrer dans le foyer dans lequel je me trouvais. Je l'imaginais déjà secouer sa chevelure blonde et découvrir une mèche rose dessous, dissimulée. Je me voyais moi, intimidé par cette fille qui n'en était pas une. C'était une femme, une vraie. L'une de celles qui avaient l'âge de mettre des talons et de ne plus avoir besoin de rembourrer son soutien-gorge pour séduire. Je l'imaginais avec un accent, celui des filles du Nord, du pays de Galle ou d'Ecosse, je ne m'étais pas encore décidé. J'avais tellement espéré qu'elle vienne, qu'elle me demande un café et un peu de compagnie, la chaleur de bras innocents alors qu'elle ne côtoyait que la baise rapide et les pipes pas chers. Je voulais lui faire un câlin. C'était con, mais c'est ce que je voulais. La prendre dans mes bras et lui dire que tous les hommes n'étaient pas pareils. On l'était pourtant. Identiques. Mais je n'étais qu'un gamin à l'époque et je croyais être différent. Meilleur. Et je voulais lui montrer qu'elle était en sécurité entre ces murs, auprès de moi. Mais elle ne vint jamais me voir. Elle resta cette femme du trottoir d'en face, les épaules tremblantes, le blond de ses cheveux si clairs se confondant avec la neige, une illusion.
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white sheets.
Romance"Elle réalise soudain que la solitude, dans laquelle elle est née, l'oblige à toujours acquiescer. Si elle avait eu le choix - mais ce mot n'existe ni dans sa condition, ni dans son vocabulaire -, elle aurait dit “Non”. Elle l'aurait même hurlé."