C'était jeudi et ma mère m'avait confié les clés pour fermer le refuge. Je servais plus la soupe, maintenant, je m'occupais de recharger les machines à café et d'échanger quelques mots avec quelques SDF. C'était bizarre de croiser des jeunes qui avaient quelques années de plus que moi. J'avais rencontré un gars qui s'appelait Matthew –comme moi- et ça m'avait glacé le sang. Je lui avais offert un café et je m'étais trouvé con car le café était gratuit ici mais Matthew n'avait rien dit. Il m'a expliqué qu'il avait dix-neuf ans et qu'il avait été viré de chez ses parents parce qu'il était gay. J'avais haïs ses parents et ça m'avait trotté dans la tête pendant un moment, jusqu'à ce que je demande à ma mère ce qu'elle aurait fait si je lui avais dit que je préférais baiser des hommes. Je lui avais pas dit comme ça, à ma mère, parce qu'elle ne supportait pas la vulgarité et que je ne voulais pas qu'elle se braque. Elle avait été surprise que je lui demande, surtout que j'avais presque quinze ans et qu'elle avait déjà rencontré mes copines de l'époque.
- Pourquoi tu me demandes ça, Matthew ?
Elle avait été vachement surprise mais pas dans le sens « je ne veux pas d'un fils pédé ». Je crois plutôt qu'elle avait jamais imaginé que je puisse l'être, ni même que je doute de ma sexualité. Alors que moi, je doutais de tout, tout le temps. Sauf que je ne le disais pas.
- Comme ça, j'avais répondu, l'air de rien. Je me posais juste la question.
- Eh bien... Je crois que je serais un peu surprise mais tu fais ce que tu vis de ta vie, Matty.
- Tu me vireras pas, alors ?
J'avais vu que cette idée ne lui avait pas traversé l'esprit et elle avait secoué la tête mais avant que je quitte la cuisine, elle m'avait quand même demandé :
- Mais tu n'es pas gay, hein, Matty ?
J'avais pas répondu. Non, j'étais pas gay mais je tombais amoureux d'une prostitué. Cette fille qui était seule ce soir-là, sur le trottoir. Aucune autre pute, aucun client. Juste le vent glacial qui s'était levé et mon bonnet que je réussis difficilement à poser sur mon crâne. J'avais fermé le refuge aux alentours de minuit et je m'apprêtais à prendre le bus de nuit quand je me rétractai. J'avais pas cherché à courir derrière lui, j'avais préféré le laisser partir et attendre le prochain dans trente minutes. Parce qu'elle était seule ce soir et que j'avais trouvé le courage de m'approcher d'elle, le cœur battant et les mains moites. Si moites que je préférai enfiler mes gants, si jamais on se serrait la main. Je savais même pas comment on abordait une fille de la nuit. « Salut, je m'appelle Matty et je suis amoureux » de toi n'était pas une entrée en matière très probante. Je pensai même à lui citer un passage de Lolita ou un autre de Roméo et Juliette mais je savais qu'elle me prendrait pour un fou après ça alors, je m'étais contenté de lui murmurer un « salut » à peine audible.
Pourtant, elle l'entendit et sursauta avant de se tourner vers moi. Elle avait le regard triste, le visage marqué par le temps alors qu'elle ne devait pas être âgée de plus de vingt-cinq ans. Elle était belle, de près. Plus jolie encore que ce que je croyais. Mais ce qui me marqua lorsque je la vis si près de moi, c'étaient ses joues. Rosées et gonflées. Elle m'avait souri gentiment mais moi, tout ce que je voyais, c'était ce rose qui contrastait avec le rouge de ses lèvres.
- T'es pas un peu jeune pour ça ? Elle m'avait demandé et tout espoir de lui parler c'était envolé.
Un passage d'une œuvre de Camus m'était venu à l'esprit mais je l'avais gardé pour moi. Mes bras longeaient mon corps et j'avais la tête vide. Je la trouvais si jolie, cette fille. J'étais désabusé par sa beauté. Mais elle, ne voyait de moi qu'un gamin qui avait dû faire un pari avec ses potes pour aller parler avec une prostitué. Elle pensait que je me servais d'elle alors que moi, contrairement à tous ses clients, je la voulais pour ce qu'elle était.
- Je...
J'avais vainement cherché mes mots mais aucun d'eux n'arriva à mes lèvres. Je m'étais contenté de fermer la bouche et elle, elle avait souri avant de mordre l'intérieur de sa joue et de me répondre :
- Souviens-toi qu'on n'est jamais trop jeune pour rien.
Un client avait klaxonné et tout s'était enchaîné très vite. Elle avait à nouveau enlevé l'un des boutons de son chemisier et s'était dirigé vers sa voiture. Il avait baissé la vitre et ils avaient échangé une poignée de mots avant qu'elle n'esquisse un sourire satisfait et qu'elle se tourne vers moi :
- Au fait, moi, c'est Eileen.
Et elle avait disparu avec cet homme, dans sa voiture. J'étais resté comme un con sur le trottoir par cette froide nuit de Février, un sourire béat collé aux lèvres. Eileen...
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white sheets.
Romance"Elle réalise soudain que la solitude, dans laquelle elle est née, l'oblige à toujours acquiescer. Si elle avait eu le choix - mais ce mot n'existe ni dans sa condition, ni dans son vocabulaire -, elle aurait dit “Non”. Elle l'aurait même hurlé."