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J'ai toujours redouté la confrontation avec la mort d'un proche. Je devais mourir, moi, mais je n'arrivais pas à me faire à l'idée que n'importe qui pouvait quitter notre monde et surtout quand il ne le souhaitait pas. Et j'ai eu peur, terriblement peur, lorsque je m'étais blottie contre un Ethan déboussolé.

- Quand tu me dis qu'il ne va pas bien, qu'insinues-tu? avais-je demandé à voix basse, comme par crainte de déranger les gens autour de nous.

Il m'avait répondu qu'il ne savait pas.

Et je l'avais écouté. Quelle erreur. Lui, comme moi, savions que Théo était sur sa fin. Et pourtant, aucun de nous ne voulait se l'avouer.

Lundi, maman se portait volontaire pour m'accompagner.

- Non, Ethan vient me chercher.

Elle s'approcha de moi et me serra fort dans ses bras.

- Voilà la raison pour laquelle je m'étais opposée à ta bonne action, ma chérie, soupira t-elle. Ça va aller ?

J'approuvai d'un signe de tête.

- Si tu ne te sens pas, ou...

- Maman, j'ai promis d'être présente.

- Tu es si courageuse, mon lapin.

Son surnom brisa une énième fois mon cœur. J'avais mimé un lapin, jeudi dernier.

Ethan arriva quelques instants plus tard, avec une mine aussi fatiguée que la mienne.

- Je me suis toujours dis qu'à la mort de quelqu'un, je devais essayer de me comporter comme je souhaiterai que les gens se comportent lors de ma propre mort, m'informa t-il tout en conduisant. Si tu veux que les gens pleurent ta perte, fais-le. Si tu veux des gens forts, alors reste forte. C'est la seule façon pour accepter la mort, selon moi.

- J'ai l'impression de vivre un cauchemar.

- Mon cœur, je souffre aussi.

- Il était si jeune, si joyeux, drôle, vif d'esprit. Mais ça n'allait pas, jeudi. Je l'ai vu dans ses yeux. Tu penses qu'on aurait pu l'aider ?

Il secoua sa tête, il ne le pensait pas.

- J'ai encore plus de mal à digérer la chose quand je me rends compte que cela ne fait qu'une semaine que je l'ai rencontré, poursuivais-je.

- Je suis d'accord, tout est allé bien trop vite.

Je repensai aux cris de douleur qui s'étaient échappés de ma gorge. Une douleur qui avait puisé dans toutes les réserves d'eau de mon corps afin d'approvisionner mes larmes abondantes. A mes chutes sur le sol glacé de l'hôpital. Au sentiment d'insouciance qui m'avait habité. A l'improbabilité que cet enfant de seulement cinq ans nous quitte pour l'Au-delà. Aux paroles paralysantes de l'infirmière : « Il est mort. » Je n'arrivai pas à croire que le tour de Théo était arrivé aussi vite.

Quand on meurt, c'est irrévocable. Il n'y a plus cette fameuse deuxième chance que la vie nous offre. Plus de sang qui circule. Plus un seul battement de la pompe qui nous tiens en vie. Plus rien. On ne peut revenir en arrière. Le fil qui nous tenait vivant se coupe. On part, pour de bon. On quitte tout ce qu'il y a de bien et de mauvais à être humain. Et l'entourage doit faire avec.

Ne sois pas trop proche des gens, ce seront eux qui finiront par souffrir prit soudainement sens pour moi. Voilà où cela menait de se lier avec des malades, des gens susceptibles d'éteindre la flamme de la vie plus tôt que prévu. Et malgré la douleur, la torture, le manque, l'incapacité de réaliser, la peur, la tristesse, et tout un tas d'effets secondaires de la mort, le détour valait le coup. Je ne regretterai jamais d'avoir passé deux journées avec un petit garçon chauve, sans sourcils, qui aimait la glace à la fraise plus que le chocolat et qui m'avait apprit les bisous magiques. Je me devais de retenir les meilleurs moments, même s'ils étaient peu nombreux. Je le devais pour lui, pour moi. Ethan avait raison. Il fallait vivre avec, supporter cette épreuve et surtout, agir comme on le souhaiterait si on était dans le cercueil, à la place du défunt.

Le décompteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant