Cassandra

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Je prétendis d'avoir un besoin urgent et me dirigea vers les toilettes. Dès que la porte fut refermée derrière moi, j'appelais Cassandra.

Tout comme mon grand-père, il était difficile de donner un âge à ma grand-mère, surtout qu'elle m'était un point d'honneur à ressembler à quelqu'un dans sa trentaine plutôt que dans la soixantaine. Le plus surprenant, c'est qu'elle y parvenait sans que cela soit ridicule. Cassandra était grande et mince, ses cheveux blonds étaient longs et retombaient sur ses épaules en large boucles savamment travaillées. Son visage était très mince, ses lèvres fines et son front ne comportait aucune ride. Sa peau diaphane et ses yeux bleus perçants était mis en valeur par un maquillage à la fois abondant et discret. Un des nombreux secrets de Cassandra, qui pouvait faire rimer quantité avec qualité.

Elle était toujours bien habillée, même au saut du lit. Ses tenues étaient toutes plus belles les unes que les autres et mettaient en valeur sa silhouette parfaite. Pour compléter le tout, Cassandra choisissait des chaussures, un sac et des bijoux qui s'accordaient à merveille avec ce qu'elle portait. Son pêché mignon, que je me plaisais à appeler un pêcher mortel, était de s'asperger copieusement d'Opium d'Yves Saint-Laurent chaque matin. Souvent, c'était son odeur qui me réveillait dès qu'elle ouvrait la porte de ma chambre et ce, avant même qu'elle ait pu atteindre mon lit et me secouer. Terrible.

Les mauvaises langues disaient que Cassandra avait utilisé la fortune de son mari pour se payer de couteuses opérations de chirurgie esthétique, mais je savais que c'était faux, même si, mon grand-père ne lui aurait jamais refusé si elle lui avait demandé. S'il y avait une seule personne sur cette Terre qui avait le dessus sur Hector, c'était elle.

Cassandra était très active dans les associations caritatives, levant des fonds pour les victimes d'un tremblement de terre en Turquie, récoltant de l'argent pour les enfants malades du sida ou créant un prix pour encourager les jeunes créateurs. Elle était partout et savait rallier les bonnes personnes à ses nombreuses causes. Grâce à elle, Hector avait gagné un côté plus humain puisqu'il était le mari de « Cassandra », la riche dame au grand coeur.

Quand il entrait dans une de ses colères noires dont il avait le secret, la seule personne qui arrivait à le calmer et le raisonner, c'était elle. J'allais donc avoir besoin de son appui avant qu'Hector ne parle à Emilie.

Cassandra décrocha au bout de trois sonneries qui me parurent interminables et je ne la laissai même pas parler :

- Cassandra c'est moi, j'ai besoin de ton aide, dis-je d'un ton alarmé

- Mon dieu chérie, que se passe t-il, tu me fais peur. Où es-tu ? Qu'as-tu fais encore ?

Elle allait se lancer dans un long monologue durant lequel toutes ses hypothèses sur ce qui était en train de m'arriver allaient être récitées et décortiquées. Pas le temps pour ça.

- Hector est avec moi à l'école, soit-disant pour la finale de basket, mais je sais qu'il veut parler avec mon amie que j'ai amenée à la maison tout à l'heure. Je sens que lorsqu'elle va lui avouer qu'elle est entrée dans l'appartement, il va péter les plombs.

Le silence à l'autre bout du fil me fit paniquer car s'il y avait une chose que Cassandra ne faisait jamais, c'était se taire. Je commençais à me demander si j'avais fait le bon choix en l'appelant, mais maintenant il était trop tard pour faire machine arrière.

Soudain Cassandra lâcha un « j'arrive » et raccrocha aussi sec. La panique s'empara de moi.

Je mis un peu d'eau sur mon visage et me regarda dans le miroir, je devais me composer un visage serein avant de retrouver Hector, mais je ne savais pas comment avoir l'air calme tout en sachant que je venais peut-être de déclencher un cataclysme. La fille à côté de moi était en train de s'admirer tout en se tartinant allègrement les lèvres d'un gloss rouge vif. Elle me jeta un regard dédaigneux, mais détourna ses yeux globuleux au bout de quelques secondes après que j'ai commencé à la fixer, puis sortit rapidement.

Je pris une grande inspiration et partis rejoindre mon grand-père. Pour mon plus grand effroi, je vis au loin qu'Emilie était avec lui et qu'ils étaient en train de discuter, je ne voyais que leurs profils et avais du mal à juger si la conversation était chaleureuse ou déjà houleuse. Je pensais sérieusement à m'enfuir ou me cacher dans le fond des vestiaires du gymnase, mais Emilie était ma seule amie et je ne voulais pas l'abandonner dans les griffes d'Hector.

Quelques pas plus loin, je les avais rejoins. Emilie me fit un sourire, Hector m'ignora, ce qui était plutôt bon signe. Je décidais de gagner du temps en rappelant à Emilie que l'on devait trouver Mme Chenon pour les échauffements et discuter avec l'équipe en vue de la finale. C'était absolument faux, personne dans l'équipe n'était impliqué au point de ne pas profiter de la coupure du midi pour être avec ses amis. Le rendez-vous était à 14h, deux heures avant le match.

J'entrainais Emilie avant qu'aucun des deux n'aient le temps de réagir et sans dire un mot, jusque dans les vestiaires. Une fois là bas, je lui demandai de me répéter, dans les moindres détails, la conversation qu'elle venait d'avoir avec mon grand-père. Emilie ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. Elle resta ainsi quelques secondes puis la referma incrédule.

- Je ne me rappelle de rien.

- Tu lui as dit que tu étais rentrée dans l'appartement ou pas ? Fais un effort, dis-je en la secouant.

Elle se débattit et s'assit sur un banc, l'air désolée. Rien, le vide, le néant. Emilie n'avait aucun souvenir de sa conversation avec le professeur Alexikakos. Dans quelques secondes, elle allait me dire qu'elle ne l'avait même pas rencontré !

- Bienvenue dans mon monde, lâchais-je d'un ton ironique.

Mon téléphone sonna, c'était Cassandra qui me cherchait. Elle m'attendait devant l'entrée de l'école. Je sortis du vestiaire, traversa la cour intérieure puis passa les grilles pour me retrouver face à ma grand-mère, de toute évidence excédée, qui tapotait rageusement ses Louboutins sur le bitume.

- Je viens de parler à ton grand-père Nerri, ça ne va pas du tout cette histoire, déclara t-elle sans arrêter de marquer la cadence avec ses pieds. Tu sais qu'on est très occupé et qu'il aime encore moins que moi, perdre du temps à cause de tes problèmes.

- Oh non Cassandra, tu ne lui as pas dit pour Emilie, suppliais-je. Il lui a parlé il y a quelques minutes et ça avait l'air d'aller.

- Nerri chérie. Ton grand-père n'est pas ici. Il n'est pas venu te voir toi ou ton amie pour la simple et bonne raison qu'il donne une conférence à l'université en ce moment, répondit-elle sur un ton plus doux même si je pouvais percevoir une pointe d'agacement dans sa voix.

Cette phrase me fit l'effet d'une douche glacée. Un grand frisson me parcouru l'échine. Ma tête se mit à tourner. Folle. J'étais en train de sombrer. Si maintenant mon cerveau comblait les trous en inventant des événements qui n'avaient pas lieu, je serais bonne à interner sous peu, pour le plus grand plaisir de mes grands-parents avec qui je devais m'obstiner régulièrement pour ne pas être dans le bureau du psy ou du neurologue chaque semaine. Malgré cela, plus je me repassais le film de la scène avec M. Duranton et celle avec Emilie dans ma tête, plus je me disais qu'elles avaient l'air réelles. Je n'étais plus sûre par contre, si cette certitude devait me réjouir ou me me faire paniquer sur mon état mental.

Cassandra continuait de parler mais je ne l'écoutais plus. Elle avait dû voir la panique s'emparer de moi car le ton de sa voix s'était nettement adouci et j'entendis quelques « ce n'est pas grave », « je ne t'en veux pas » percer ici et là à travers son monologue.

Elle conclut en me souhaitant bonne chance pour mon match et s'éloigna vers la voiture noire qui l'attendait à l'angle, laissant flotter derrière elle un nuage lourdement parfumé. Je la suivis du regard et j'aurais juré apercevoir le profil d'Hector lorsqu'elle ouvrit la portière avant de s'engouffrer rapidement dans la voiture. Encore une hallucination de mon cerveau, à moins qu'Emilie ne me prouve le contraire.

NerriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant