Hector

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Je me rendis au lycée le plus vite possible, ce qui, me concernant, n'était pas si difficile que ça. Je courus tout le long du chemin et passai les grilles au pas de course, sans le moindre signe d'essoufflement.

Le bâtiment était plutôt moderne selon les standards parisiens, puisqu'il ne datait que de 1960. De toute évidence à cette époque, les architectes, tout comme les responsables en éducation, devaient imaginer que toute distraction de l'apprentissage était à bannir. Le résultat était atroce. L'école était composée de deux monoblocs aux minuscules fenêtres toutes identiques.

Je m'engouffrai dans le premier bâtiment et descendis au sous-sol. Il était midi, tout le monde devait être à la cafétéria y compris Emilie. Pour confirmer ma pensée, je l'aperçu dans la file, j'allais crier son nom tout en m'approchant lorsque je sentis quelqu'un me saisir par le bras. Je me retournais pour me trouver nez à nez avec mon grand-père, accompagné de M. Duranton.

L'effet de surprise passée, je compris en écoutant les explications de mon prof, que mon grand-père était venu assister à la finale du tournoi. Les « c'est une chance que le professeur Alexikakos trouve du temps dans son horaire chargé pour venir » que M. Duranton réussit à placer trois fois de suite, m'irritèrent fortement, même si je comprenais qu'il soit sous le charme. Personne ne pouvait résister au charisme d'Hector.

C'était assez difficile de lui donner un âge. Les traits de son visage étaient fins et il n'avait pas beaucoup de rides. Ses cheveux blonds et ses yeux bleus perçants, ajoutés à sa carrure athlétique, auraient pu le faire passer pour un surfeur australien, mais c'était sans compter sa barbe et, trait familial oblige, le fait qu'il souriait peu souvent. Son apparence physique imposait le respect, sa voix faisait le reste. Pour une raison que je ne saurais expliquer, quand Hector parlait, tout le monde se taisait et le regardait avec intensité, leur yeux brillant de mille feux. Son auditoire buvait ses paroles et je me suis toujours demandé ce qu'il se passerait si Hector se mettait à crier : « sautez tous par la fenêtre », sans être persuadée de vraiment vouloir connaître la réponse.

Hector réussit à se débarrasser assez facilement de Duranton et m'entraina dehors.

- Que faisais-tu à la maison accompagnée ? me demanda-t-il.

Sa question me prit par surprise. Je décida de jouer la carte de l'incrédulité en lui disant que j'étais juste repassée à la maison pour prendre mon sac de sport en vue de la finale de basket, mais son regard m'indiqua qu'il ne me croyait pas. Je décidai donc de lui dire la vérité mais de l'enrober un peu.

- Je suis allée à la maison avec Emilie. Elle voulait vraiment voir où j'habitais. Je lui ai demandé d'attendre devant la porte en prétextant que Cassandra travaillait de la maison et qu'elle ferait un scandale si elle entendait du bruit.

- Et tu veux me faire croire que ton amie a accepté ? répondit-il sèchement

- Non, bien sûr que non. Elle a insisté. Mais quand elle a compris que je ne cèderais pas, elle est partie fâchée. J'allais justement la retrouver pour qu'on en discute.

J'avais dit cela en le regardant droit dans les yeux. Mon grand-père me fixait également, scrutant le moindre signe de faiblesse de ma part. Détourner le regard aurait signifié avouer mon mensonge et mon instinct m'indiquait qu'il ne valait mieux pas, non seulement parce que Hector n'aimait pas que je ne suive pas les directives du carnet, mais aussi pour Emilie. Quelque chose au fond de moi me disait que s'il apprenait qu'elle était entrée chez nous, cela aurait des conséquences fâcheuses pour elle.

- Soit. Allons chercher Emilie, tu vas pouvoir me la présenter. Ce n'est pas souvent que j'ai la chance de parler avec tes amis, me dit-il d'un ton faussement doux.

Cette demande ne me plaisait pas le moins du monde. Emilie ne pourra jamais soutenir le regard d'Hector et encore moins lui mentir. Mon grand-père, en apprenant la vérité, entrerait dans une colère noire et, même si les gens extérieurs ne s'en apercevraient jamais, trouverait un moyen de me le faire payer. Je pouvais vivre avec ça, j'en avais l'habitude, mais je ne voulais pas qu'il arrive quoique ce soit à Emilie.

Hector était le roi de la manipulation et aimait être en contrôle permanent de tout ce qui gravitait autour de son petit univers, moi y compris. Le carnet et sa liste d'interdictions avait été une de ses trouvailles. Me faire passer pour une demi-folle en demandant aux profs de parler ouvertement de mes problèmes de mémoire, lui permettait de m'isoler de la plupart des élèves. Qui voudrait faire la connaissance d'une fille aussi étrange ? Le commun des mortels n'aimaient pas ce qu'il ne comprenait pas et Hector faisait en sorte que je sois vue comme trop différente pour être acceptée. Diviser pour mieux régner était sa devise et je le voyais l'appliquer également avec les personnes avec qui il travaillait.

En tant que spécialiste de l'Antiquité, le professeur Alexikakos était une sommité. Ses découvertes archéologiques et ses travaux de recherche l'avaient fait connaître dans le monde entier. Les plus grands musées et universités du monde entier se l'arrachaient. Il était même consulté par Hollywood lorsqu'un producteur voulait lancer une série ou un film se situant à cette époque depuis qu'il avait critiqué ouvertement un film à gros budget qui avait mélangé noms de dieux grecs et romains. L'erreur était grossière et la critique avait fait le tour du monde, ridiculisant le film et lui faisant perdre, par la même occasion, plusieurs millions de recettes.

Hector avait réussi à devenir célèbre en faisant de l'Antiquité un sujet passionnant. La plupart de ses livres étaient écrits pour que leur contenu soit accessible au grand public. Il avait démocratisé le mode de vie des gens de cette époque ainsi que leurs rapports avec les nombreuses divinités auxquelles ils croyaient, les rendant plus populaires que les super-héros modernes. Ses oeuvres littéraires étaient traduites dans plusieurs langues et chaque parution se vendaient à des centaines de milliers d'exemplaires.

Hector adorait ça. Il se nourrissait de l'admiration que les autres lui portaient et écrasait ceux qui osait le critiquer ou se mettre en travers de son passage.

Plus j'y pensais et plus je me disais que l'idée d'un face à face entre Emilie et Hector était la pire chose possible. Il fallait que je trouve une parade et vite.

L'amadouer était inutile car mon grand-père n'était pas très chaleureux. Je ne me souvenais d'aucun geste ou d'aucune parole de tendresse envers moi. La seule personne envers qui il montrait un peu d'affection était Cassandra, mais des fois je me disais que c'était parce que ça faisait partie de son personnage. Un homme célèbre et respecté devait avoir une épouse parfaite et Cassandra remplissait ce rôle à merveille en organisant des réceptions et en s'investissant dans des bonnes oeuvres à foison.

Cassandra ! C'était la seule carte que je pouvais jouer.

NerriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant