Notre entraîneur vient de nous libérer et c'est avec empressement que nous sortons de la grande salle. Nous sommes dimanche, il est environ treize heure, et cet apres midi est le premier moment de libre qui nous est accordé depuis la grande annonce en début de semaine. Depuis, les cours ont été renforcés, et notre week end plus ou moins aboli, si on peut dire. Alors autant dire que cette pause est très attendue.
Je prend mon temps pour aller manger, cherchant Alix ou Myron en chemin. Malheureusement aucun n'est en vu, et ça ne me dit pas de m'asseoir avec quelqu'un d'autre aujourd'hui. Je cherche donc une table libre après avoir récupéré mon plateau. Au fond de la grande salle, j'en repère une, entre deux autres tables occupées par des ouvriers. Je m'y installe dos au mur pour avoir une vue sur l'ensemble de la pièce, et commence à manger lentement.
J'observe les allers et venus depuis quelques minutes quand la conversation de mes voisins de droites me parvient. C'est un homme de l'âge de mes parents, avec une grosse barbe et un bleu de travail, qui parle d'une voix forte.
- Vous vous rendez compte? J'ai entendu dire qu'ils n'étaient toujours pas sûrs de notre trajectoire. Ils refont des calculs! Encore! Et pour l'état de la Nouvelle Terre c'est pareil ! Si elle n'était pas viable, ou que quelque chose se passait mal, il n'y a aucun plan B. Ah... je n'en reviens pas que ce soit déjà le moment. Je revois encore mon petit Curtis bébé... La Quatrième génération n'est pas prête, c'est évident. Je ne comprend pas qu'on puisse envisager de laisser nos enfants livrés à eux même là bas! Pourquoi seraient-ils les seuls à sortir? Certes nous n'avons pas eu l'entraînement, mais nous avons l'expérience!
Oui, le débat était toujours le même. Depuis l'annonce, de nombreuses personnes s'opposaient à la décision de ne laisser sortir que ma génération, arguant que c'était impensable d'envoyer tout les "enfants" seuls dehors. Un message à ce sujet serait même parvenu au gouvernement, mais ce dernier aurait répondu que chaque génération avait un rôle. L'exploration de la planète étant celui de la Quatrième génération, la décision n'était aucunement négociable.
Finalement, mon repas terminé, je quitte la table et laisse le groupe de travailleurs à sa discussion houleuse.
En fin de journée je retrouve enfin Alix, au hasard dans un couloir, et je lui lance en souriant:
- Hey, petit cachottier t'étais passé où cet après midi?
- Kat! Je pourrais dire pareil je te signale, je t'ai pas vu ce midi. Alors j'ai mangé avec les gars, qui m'ont charrié parce que j'avais pas mangé avec eux de la semaine.
Ce commentaire nous fait rire tout les deux, car j'imagine très bien que ça a dû être sa fête ce midi. C'est vrai qu'on ne s'est pas beaucoup quittés cette semaine. Peut être que la fin de ce long voyage va vraiment nous rapprocher finalement, enfin autant que devrait l'être un couple selon moi. D'ailleurs je ne demande pas mieux, même si je culpabilise un peu de passer moins de temps avec Myron. Ce bon vieux Myron que je n'ai toujours pas croisé cet après midi du coup...
- Ça te dit une petite ballade?
Je hoche la tête et il me prend la main pour me tirer je ne sais où. En fait je reconnais vite le chemin, et je ne suis pas surprise d'arriver devant un des hublots donnant sur l'espace.
- Tadaaaa... je me suis dit qu'il fallait profiter de la vue, parce que elle va bientôt changer.
Il me dit ça avec un grand sourire, tout en s'asseyant par terre, une épaule appuyée contre la vitre. Sans hésitation je m'installe entre ses jambes, attrape ses mains et les pose sur mon ventre. Là, c'est parfait. Après un petit moment de silence, Alix reprend:
- Tu crois qu'elle va finir par nous manquer cette vue? Je veux dire on la voit tout les jours depuis notre naissance, ça nous paraît un peu sans importance et tout, mais ne plus la voir du tout. Plus jamais... j'ai du mal à imaginer je crois.
Il me dit ça avec le sourire, mais je me doute que, dans le fond, c'est une vraie question qu'il se pose.
- Honnêtement, je crois qu'il y aura toujours des moments où on sera un peu nostalgique. Mais pense à tout ce qu'on peut découvrir là bas... des plantes, et peut être même des animaux. Et des vrais, pas des images jaunies héritées de nos arrières grands parents, ni ces vieux films qu'in est obligés de voir pendant les cours. Et puis, les cygnes sur les images ont toujours l'air tellement beaux...
- Et les dauphons...
- Dauphins.
Je le corrige.
- Oui, oui, dauphins, enfin ils ont l'air fascinants!
- Tu sais que ma grand mère m'avait raconté que les dauphins sont souvent les animaux préférés des... petites filles.
Je dis ça l'air de rien, en essayant de ne pas pouffer de rire devant sa tête incrédule. Une image inoubliable, vraiment. Malheureusement, je craque rapidement et explose littéralement.
- Tu te moques de moi!
Son visage outré me fait rire encore d'avantage, et j'hoquette entre deux éclats:
- Oui, totalement, mais ça n'empêche pas que ce que j'ai dis soit vrai.
Il me chatouille en représailles, sans pitié face à mes suppliques.
Finalement, l'attente ne sera peut-être pas si horrible, car c'est aussi le moment de profiter des petites choses qui font notre quotidien, des petites choses que nous allons bientôt quitter.
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Quatrième Génération
Science FictionAprès un voyage dans l'espace de 90 ans, dans le cadre du programme de Colonisation d'une Nouvelle Terre, la Station va atteindre sa destination finale. Tous les jeunes de vingt ans vont alors devoir explorer ce nouvel habitat. Ils sont la Quatrième...