Quatrième Génération

Erreur de calcul

Cette sirène, qui me donne envie de plaquer mes mains sur mes oreilles pour y échapper, je la connais bien. Je n'ai peut-être pas eu beaucoup l'occasion de l'entendre en vingt ans, mais c'est le genre de chose qui ne s'oublie pas. Cette sirène, elle nous demande, non, plutôt nous ordonne, de nous rendre dans la plus grande salle de la Station, pour y entendre une annonce directe de notre gouvernement. Et bizarrement ça m'étonnerait que ce soit pour nous annoncer une bonne nouvelle.

Je regarde les autres, et je vois clairement qu'ils pensent comme moi. Ce genre d'annonce ce n'est jamais bon. Je vois des gens qui arrivent et s'agglutinent, avant de tous prendre la même direction. Et finalement nous devons bien faire comme eux.

Accompagnée d'Alix et de Myron, j'arrive enfin dans la salle, qui est déjà bondée. Pourtant, une foule de personne continue de se déverser par les quatre portes donnant accès à cette salle rectangulaire, immense et composée d'une large estrade tout au fond. Nous nous frayons un chemin pour nous rapprocher un peu de l'estrade, et nous arrêtons finalement dans un petit coin, le long d'une colonne.

- Regarde, il y a tes parents là bas.

Je tourne dans la direction que me montre Alix, mais je ne vois rien.

- Mais si juste là, entre la femme qui se ronge les ongles et le vieux monsieur qui tape du pied en serrant bien trop fort la main de sa femme.

Ah, oui effectivement, je les ai trouvé, mais je décide de rester où je suis. Ils ont l'air tout les deux aussi stressés que le reste de la pièce. En fait, en regardant bien, ce sont surtout les personnes de la génération de mes parents et celles de la génération de mes grands parents qui s'agitent. Ma génération n'a connu que deux annonces directes, et dans les deux cas ce n'était pas très grave, alors nous ne ressentons pas la même angoisse.

La première fois, j'avais cinq ans, je ne m'en souviens presque pas, mais ma mère me l'a raconté. Il y avait eu une fuite d'air dans un compartiment de stockage, proche de certaines cellules d'habitations. Des personnes ont dû  évacuer leur cellule et dormir dans la caféteria qui leur était alors ouverte. Mais cela n'a même pas durée une semaine, et tout est vite rentrée dans l'ordre.

La seconde annonce directe que j'ai connu était il y a six ans. J'avais quatorze ans, et cette fois là notre gouvernement avait annoncé un problème dans le traitement des eaux. Celle-ci avait donc été rationnée pendant deux semaines, jusqu'à ce que tout soit arrangé. Je me souviens qu'à cette époque mes parents avaient été très inquiets, mais que moi je trouvais même ça amusant car on ne se lavait plus qu'un jour sur deux.

- Dis, tu crois que c'est pour quoi cette fois?

Je me tourne à nouveau vers Alix, et réfléchis un moment avant de répondre.

- Je ne sais pas, mais j'espère que ce ne sera pas grave. T'as vu comme nos parents sont inquiets ? Ça me fait bizarre, et j'ai comme un mauvais pressentiment d'un coup.

En le disant je me rend compte que c'est exactement ça. C'est ce genre de pressentiment, où vous êtes sûrs qu'il va se passer quelque chose, où vous voyez ce qui vous entoure comme si tout le monde évoluait au ralenti, où vous SAVEZ que votre monde va changer. Je ressens exactement ça en ce moment, et je donnerais tout pour accélérer les choses et être déjà au courant de ce qui va se passer. Cette attente est insupportable, je crois que je deviens aussi angoissée que le sont mes parents.

- En tout cas on va bientôt être fixés, ils arrivent.

Je me reconcentre sur ce qui m'entoure en entendant Alix. Et effectivement, notre gouvernement arrive sur l'estrade, la mine grave et concentrée. Notre gouvernement, c'est en fait une assemblée de dix personnes, dont sept scientifiques. Les trois autres personnes, élus tout les dix ans, dirigent plus spécifiquement la "vie" dans la Station. L'un des scientifiques s'avance un peu et commence immédiatement son discours, comme s'il savait que personne ici ne supporterait encore longtemps cette attente.

- Bonjour à tous. Je m'adresse à vous aujourd'hui, directement, car ce que j'ai à vous dire va demander des efforts, à chacun d'entre vous, et dans les plus brefs délais. Voilà quelques jours que nous nous doutions de quelque chose mes collègues et moi même, et aujourd'hui nous en avons eu la confirmation. Je dois d'abord vous rappeler à tous qu'il y a quatre vingt dix ans, avant le décollage de la Station, des calculs avaient été fait. Ils annonçaient un voyage de quatre vingt treize ans. Aujourd'hui, je vous annonce qu'il ne nous reste pas trois ans, mais trois semaines. En conséquence, un plan d'urgence a été déclaré. Chaque secteur d'activité recevra de nouvelles consignes, de même la Quatrième génération recevra ses consignes par ses entraîneurs, dès demain matin. Chers habitants de la Station, notre voyage touche à sa fin ! Je vous remercie de votre attention et vous laisse profiter de votre dernière soirée de calme !