°Parce que quelqu'un m'a demandé comment s'était passé la tentative de suicide de Jean évoquée dans le chapitre X°
A six ans déjà, je regardais les couteaux de cuisine avec insistance en attendant une baisse de vigilance de la part des parents. Et elle a baissé. Un jour, ils sont partis tranquillement en balade, me pensant captivé par mon nouveau recueil de légendes sur Merlin l'Enchanteur. Il faut croire qu'il est plus facile de cacher ses pulsions suicidaires à six ans plutôt qu'une fois adolescent.
J'avais attendu que la porte de l'entrée claque derrière eux. Je m'étais levé tranquillement de mon lit. Maintenant que la mort était à portée de main, je n'avais plus à m'inquiéter et à me presser : mon heure était enfin venue. J'allais pouvoir te rejoindre enfin, même si cela était dans la mort. Plus rien ne pourrait nous séparer, comme Quasimodo et l'Esméralda chez Hugo. La mort allait nous réunir et nous allions former de nouveau un seul et même être. J'avais enfilé mes chaussons, j'avais quitté sans remord ma chambre et j'avais atteint avec soulagement la cuisine. Les couteaux étaient rangés en hauteur, mais une chaise me suffit pour les atteindre. Qu'ils étaient beaux, brillants comme des miroirs. J'en avais pris un, ni le plus gros, ni le plus fin. Je n'étais pas bête, il n'y avait pas besoin d'aller sur internet pour connaitre l'espacement entre deux côtes et la situation exacte du cœur. Un grand couteau aurait été trop difficile à manipuler. Testant le tranchant de la lame du bout de mon index, j'avais pris la direction de la salle de bain. Je me disais que comme ça les parents nettoieraient le sang facilement et passeraient à autre chose.
J'avais poussé la porte de la salle d'eau. Tu m'attendais déjà, sombre dans cette salle lumineuse, immaculée. Tu faisais la tête. Tu étais pour la première fois tout l'inverse de moi. Je rayonnais intérieurement, impatient de te rejoindre, et jouais avec le fil de ma lame.
« Je l'ai ! »
Tu détournas la tête avec une mine dégouttée. Je ne comprenais pas. Tu aurais dû te réjouir comme moi de retrouver bientôt ton autre moitié.
« Tu vas me tuer. »
Je te regardai, les yeux ronds comme des soucoupes.
« Mais non, je l'ai déjà fait. C'est mon tour maintenant.
- Et tu vas me tuer.
- Je te dis que non !
- Et moi je te dis que si ! En te tuant, tu vas me couper de ce monde. Tu vas m'enlever la dernière attache qui me retenait ici.
- On s'en fiche, on sera à jamais ensemble désormais, où qu'on aille.
- Tu es un monstre. Je te déteste ! »
Je m'étais stoppé net. Tu me détestais ? C'était la première fois que tu utilisais des mots si durs contre moi. Et je me mis à pleurer.
« Mais je fais ça pour toi ! criai-je, la voix enrouée. Pour que l'on ne se quitte plus jamais.
- Non, tu fais ça pour toi. Parce que tu es un sale lâche.
- Menteur ! Je vais me tuer pour toi ! Je vais ressentir de la douleur et mourir ! Je ne suis pas lâche !
- Si, parce qu'il faut être courageux pour vivre, parce que vivre avec de la culpabilité ça fait souffrir. Tu fais ça pour toi, pas pour moi. Si tu me demandais mon avis, je te dirai que, comme tu m'as tué, tu me dois ton corps en échange. Et moi, je veux que ce corps qui est maintenant le mien reste en vie. Parce que c'est le dernier qui me reste. »
Cela allait trop vite, tu résonnais comme un adulte. Je ne te suivais plus.
« Mais je veux mourir ! Je veux te rejoindre ! Pourquoi vivrais-je si tu es mort ? Nous sommes deux faces d'une même pièce : on ne peut pas nous séparer.
- Mais une des facettes peut être face contre terre quand l'autre regarde vers le ciel.
- Non ! Je ne veux pas ! C'est injuste! »
J'avais alors enjambé le bord de la baignoire et m'étais retourné vers toi, toujours décidé à mourir dans un endroit facile à laver. Il fallait que les gens nous oublient, nous laissent tranquilles. Tu m'as regardé d'un air compatissant, et mes larmes redoublèrent. Une fois que je serai mort, rien ne nous séparera... pas même toi. J'ai dirigé la lame vers ma petite poitrine d'enfant. Elle était secouée de sanglots. J'avais pris un peu d'élan et avais rabattu la lame contre mon torse, là où je savais qu'elle serait fatale.
Mais tu en avais décidé autrement. Sans que je ne comprenne comment tu avais fait, tu m'avais rejoint et m'avais tapé dans le coude. Je manquai l'interstice entre mes cotes et la lame glissa sur ma cage thoracique, m'arrachant un cri de douleur. Je lâchai le couteau dont le manche vint atterrir sur mon pied. J'ai mal, horriblement mal, et maintenant que tu me détestais, je n'avais plus le courage de supporter la douleur. Je n'avais que sept ans.
Tu vins me rejoindre dans la baignoire, sans te presser cette fois, parce que tu savais que la bataille était finie et que tu avais presque gagné. Tu m'as enlevé mon tee-shirt sans ménagement, m'arrachant quelques cris sans broncher. Et tu avais appuyé avec sur ma plaie avec une force que je crus un instant que tu voulais me tuer.
« Prend ce tee-shirt et appuie. Maintenant ! »
Ta colère m'a tellement terrifié sur le coup et la douleur était si forte que j'avais obéis avec déférence. Tu allas chercher du désinfectant dans le placard, éloignas le tee-shirt de la plaie sans tendresse et versas le désinfectant.
« Ça pique !!!
- Tais-toi ! »
J'obtempérai. Tu m'intimas de presser à nouveau contre la plaie, ce que je fis.
« Et maintenant, tu vas me promettre de ne plus jamais recommencer ! »
Je me mordis les lèvres.
« Tu ne peux pas me demander ça...
- Tu crois ? »
Tu avais appuyé sur ma plaie avec un sourire sadique. La douleur me fit pleurer de nouveau.
« Arrête !
- Comment ?
- Arrête s'il te plait ! Tu me fais mal.
- Promet !
- Oui, je te le promets, je te le jure ! Je t'en prie, arrête. »
La pression s'était relâchée.
« Continue à appuyer dessus. »
J'obtempérai de nouveau, jetant un rapide coup d'œil à ma poitrine toute tâchée de rouge.
Et quand je relevai les yeux, tu n'étais plus là. Je n'avais plus que mes larmes comme compagnie.
Oui, c'est ainsi que tu m'as enchaîné à la vie par une stupide promesse. Ai-je une dette envers toi? Je n'ai jamais su, parce que je ne sais toujours pas ce que tu es.
°En espérant ne pas vous avoir déprimés par cet amour dévoyé.
Sincèrement votre.
Claire6°
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On aurait été mieux à deux
Novela JuvenilDans beaucoup de légendes du monde, les jumeaux sont maudits. Alors pourquoi pas ici? Lui est Jean... enfin était Jean. Il est désormais Jean-Baptiste : deux prénoms, deux personnalités, et pas mal de problèmes.