Chapitre 8 : La valse des coussins

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« La valse d'un coup d'aile a détrôné la danse », Alfred de Musset

Ce fut comme à la fin d'une guerre. Les deux armées, fatiguées, lasses, inquiètes à l'idée de se jeter à corps perdu dans une nouvelle bataille cherchaient l'armistice. Les belligérants avaient tout donné et à présent ils voulaient rentrer, enterrer leurs morts, oublier leurs échecs, raconter leurs victoires et dormir sans craindre l'explosion d'une grenade à proximité de leur planque. Blanche voulait rentrer à la maison, mais où était-ce à présent ? A Paris, dans l'appartement avec sa mère ou alors à l'Iseut, avec ses amis et ce garçon qui l'avait bouleversée sans qu'elle le réalise ? Troublée, incertaine, elle élut domicile dans les bras de son père. Ce fut très gauche, elle hésita, s'arrêta, recommença, tendit ses mains vers lui, vacilla, ne sachant pas par où le prendre mais elle finit par le tenir à elle pour la première fois depuis bien longtemps. Archimède, lui, se dit que les timbres étaient moins compliqués que les enfants mais se contenta de poser sa main sur la tignasse blonde de sa fille. Les Rodin n'étaient pas des causeurs, mais bon, après tout, que vouliez-vous qu'ils s'eussent dit ? Ce n'était qu'une dispute. Ce ne serait pas la dernière mais en tant que parent, Archimède se dit que c'était le meilleur moment de n'importe quelle engueulade. Blanche respirait l'odeur de cigarette dont était imprégné le velours et soupira avant de faire un pas en arrière. Il était temps de rédiger un traité de paix et de vaincre, une fois pour toute, ce dragon maléfique, car Tristan lui avait tendu l'épée pour qu'elle en finisse et attendait maintenant le retour de sa reine victorieuse.

— Tu me manques.

— Je suis fier de toi.

Les deux phrases étaient sorties en même temps, ils se regardèrent en souriant légèrement. Blanche fit un signe de tête quasi-imperceptible encourageant son père à prendre la parole.

— Voilà. Je voulais que tu le saches. Je suis fier de toi. Fier de tes rêves, de tes accomplissements et surtout, fier d'être ton père.

— Moi aussi je suis fière de toi. Pendant longtemps je pensais que c'était de la jalousie : t'as réussi à partir, à reconstruire, à la quitter et moi j'exécute encore le moindre de ses ordres, je suis coincée dans ce même appartement, à revivre les mêmes conversations avec la même personne... Je crois que toute cette colère que j'ai en moi n'est même pas vraiment la mienne. C'est la sienne. Mais, elle me caractérise depuis si longtemps que je me suis dit que sans elle, c'est le retour à la case départ et j'en ai vraiment marre d'être perdue papa.

Blanche croisa les bras sur sa poitrine, respira profondément et jeta un œil vers Oriane qui coiffait sa poupée. Elle bascula la tête en arrière afin d'éviter de pleurer.

— J'ai l'impression de passer ma vie assise sur un banc alors que tout le monde est debout et bouge et change et respire et vit. Moi, je suis toujours assise et j'attends, je suis parfaitement invisible et un matin je vais me réveiller sans me rendre compte que même le banc a disparu.

Archimède se gratta l'oreille et une lueur de bienveillance illumina son regard.

— Et bien lève-toi Blanche. Lève-toi et sois tout simplement extraordinaire.

— J'ai peur de ne pas y arriver.

— Ça tombe bien car moi, j'ai peur que tu ne t'arrêtes jamais de l'être.

— T'as peur ? ce fut au tour d'Archimède de croiser les bras. Il s'adossa au chambranle de la porte.

— Oui. Parce que tu ne t'es jamais retournée pour voir assis à côté de toi, le vieux qui dort sur le banc. Il te regarde et il sait, lui, tout le potentiel que t'as et il se dit qu'un jour tu vas t'en rendre compte aussi et il restera tout seul.

La valse des coussinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant