Chapitre 4 : Le fox-trot renâcle

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« Ne sentez-vous pas que la danse est l'acte des métamorphoses ? », Paul Valery

La maison des Rodin était silencieuse. A vrai dire, elle l'était toujours à huit heures du matin. Blanche était assise dans la salle à manger, ses yeux rivés sur l'avancée des nuages dans le ciel et l'obscurité grandissante. C'était une lève-tôt, une vraie. Elle admirait le silence qui écoutait chacune de ses pensées sans jamais l'interrompre et le soleil qui se levait chaque matin sans exception. Elle aimait le sentiment d'être seule à découvrir le début de la journée et de ne pas avoir à se préoccuper de qui que ce soit.

Le silence se brisa et Blanche se trouva incapable de le réparer. Archimède marcha, les talons en premier (ce qui résonnait dans toute la maison), et s'assit devant sa fille. Ses sourcils froncés n'annonçaient rien de bon.

— Où étais-tu passée hier ? Son ton présageait une réprimande que Blanche mit de côté, se tournant une fois de plus vers le ciel voilé qu'elle aimait tant.

— Quand je te parle, je veux une réponse. Allez, ne fait pas l'enfant. Moi aussi j'ai été adolescent, ce n'est pas une raison pour oublier ses parents... Tu aurais dû venir passer la journée à la plage avec Soraya et Oriane.

Les adultes sont parfois étranges. Ils disent ne pas comprendre notre comportement et avoir agi avec sagesse quand ils avaient notre âge avant de nous expliquer, de leur ton condescendant, qu'ils savent ce qui se passe dans notre tête. Jamais ils ne vous le disent quand vous êtes enfant. Non, vous n'entendrez jamais un adulte, un grand, s'exclamer : « Moi aussi j'ai eu cinq ans, je sais que manger de la colle c'est tentant, mais ça ne se fait pas » ! C'est ça le truc, c'est fini. Leur adolescence est révolue, nous ne sommes pas eux. Le deuil de notre enfance, la promesse d'un avenir à dévoiler encore recouvert d'un drap, est là. Nos sauts d'humeur, nos réflexions philosophiques et nos hésitations enfantines font partie de nous. Nous ne sommes plus des enfants irresponsables en besoin constant de supervision ni encore des adultes.

— J'ai trouvé du travail pour l'été.

Son dédain évident envers la conversation passa inaperçu aux yeux d'Archimède. Elle se leva, passa une main dans ses cheveux et lissa sa robe de chambre. La voix de son père résonna.

— Et quand allais-tu me faire part de cette nouvelle ?

— Lorsque tu poserais la question... C'est-à-dire à l'instant. La réponse, d'une insolence insupportable, n'enchanta guère le patriarche Rodin. Blanche monta lentement les deux volets d'escaliers, s'habilla et redescendit. D'humeur exécrable suite à la conversation, elle prit ses clés et décida de quitter le domicile avant d'endurer une leçon de morale qui ferait d'elle une retardataire.

Les choses n'allèrent pas comme prévues. Comme quoi, même le repli sage d'un front passif peut être persécuté par un ennemi aux pulsions agressives, ou aux yeux d'Archimède, courageuses. Après tout, le courage n'est-il pas le terme le plus gentil pour désigner la stupidité ?

— Nous sommes supposés passer des vacances ensemble, en famille. Pourquoi es-tu incapable de produire le plus minimal des efforts ?

Le soleil se fraya un passage à travers les nuages, baignant la pièce dans une lumière dorée, pour le plus grand agacement de Blanche.

— Comme tu as fait des efforts avec maman ? Des efforts avec moi ? On ne se connaît même pas. Tu m'as abandonné comme un vieux jouet rouillé dès que tu as demandé le divorce.

— Ce n'est pas vrai et tu le sais !

Alors que le ton montait chez Archimède, Blanche se figea. Sa voix rauque ne changea pas d'intonation, restant insupportablement monotone. Son visage se contorsionna dans un masque de sérénité et un sourire tantôt triste, tantôt rebelle s'installa sur ses lèvres.

La valse des coussinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant