Chapitre 6 : Sea, salsa, sun

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« Ephémère, immortelle, volatile, la danse est le seul art qui, ne laissant aucun déchet sur la terre, hante certaines mémoires de souvenirs merveilleux », Jean Babilée

Je pense que l'on sait quand nous sommes sur le point de faire une bêtise, du moins j'aime le croire, et pourtant si Blanche avait rien qu'un infime pressentiment concernant cette escapade nocturne, elle n'en laissa rien paraître et se contenta de reléguer son bon sens au tréfonds de son esprit, pour une nuit, rien qu'une nuit. Le soleil avait enfin accepté de se coucher, trop énamouré de la lune pour ne pas la laisser briller et cette dernière, sans aucun doute plus ludique que son amant, regardait de son balcon céleste la bande d'adolescents. Une ivresse avait envahi leurs âmes, une ambroisie euphorique coulait dans leurs veines et un halo de bonne humeur planait autour d'eux.

Balthazar fredonnait, la cigarette au bec, une mélodie démodée et Cornelia dansait, tournoyant autour des lampadaires, parfois préférant le rôle de funambule quand elle montait sur le bord des trottoirs. Les poteaux métalliques se métamorphosaient en troncs d'arbres et les fils électriques se transformaient en lianes fleuries sous les regards imaginatifs des jeunes. Dans la rue, on les regardait. Les retraités les dévisageaient de leurs vérandas, désapprouvant d'un lent mouvement de tête tandis que les adolescents qui partaient en boite se retournaient afin de voir le spectacle énigmatique. Ils semblaient hors du temps, d'une autre époque, comme voir un conte de fée vivant, des adjectifs se décoller des pages et prendre corps. Ils existaient à part, détachés du reste du monde et je pense que si vous leur aviez posé la question ils auraient répondu sans aucune hésitation, qu'ils étaient seuls dans la rue cette nuit-là.

Ils marchèrent ainsi jusqu'à la baie où Cormac se mit à chercher le bateau, lampe torche à la main. Personne ne savait vraiment s'ils avaient le droit de partir en mer à cette heure-ci. Au fond, tout le monde s'en foutait un peu. Le voyage se fit dans le rire, Barnabé racontait une blague portant sur les mathématiques à laquelle Blanche sourit distraitement. Lentement elle se rapprocha de Cormac qui se concentrait sur la mer, elle regardait son bras, sa peau translucide s'étirait à chaque geste, faisant onduler de façon tout à fait fascinante les dessins qui s'y trouvaient. Elle leva la tête et dévisagea les étoiles avant de prendre doucement la parole.

— Prophète du bulletin météorologique, dis-moi, quand va-t-il enfin pleuvoir ?

— Bientôt. La jeune femme se rapprocha afin de lui chuchoter à l'oreille, sa voix était inquiète :

— Promis ? Le rouquin sourit et se tourna pour la regarder.

— Promis.

Soudain, Cornelia poussa un cri ravi. La brume s'était dissipée afin que l'île apparaisse, énorme et terriblement isolée. Moins accueillante qu'à la lumière du jour, le sol rocailleux s'élevait en piques anguleuses tandis que l'ombre des bras désarticulés des arbres était projetée sur le vieux phare plongé dans l'obscurité. La lune produisait un mince filet argenté sur l'excroissance du pacifique, une lumière dure, blanche qui assaillait la demeure lugubre. Les adolescents buvaient la scène, découvrant une nature abandonnée, primitive, envahissante et sauvage. Toute puissante, elle étreignait l'écrin de verdure dans un fouillis de ronces et d'herbes folles. Blanche la trouva merveilleuse, d'une beauté saisissante qui lui fit pencher la tête sur le côté, la bouche légèrement entrouverte. Ils arrivèrent près de la jetée et Cormac vint ralentir le bateau tandis que Balthazar sortit nerveusement une corde épaisse qu'il entreprit d'attacher à un poteau en bois vermoulu qui n'inspirait guère confiance. Le ressac régulier de la mer se faisait entendre ainsi que le grincement des arbres. Le chant assourdissant des criquets n'était qu'un va et vient lassant, le « tic-tac » insupportable d'une pendule naturel. Tous descendirent du bateau et leurs pieds à peine couverts, vêtus de sandales et de tongs s'enfoncèrent dans le sable détrempé, boueux, près de la baie. L'odeur agressive de fruits passés assaillit leurs narines et Cornelia eut un mouvement de tête vers un vieux plaqueminier dont les kakis lourds et gorgés de jus tiraient les branches vers le sol. La moisissure blanche recouvrait les fruits mous d'un velours blanchâtre qui fit détourner les yeux à Barnabé.

La valse des coussinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant