Chapitre 7 : Le cancan d'Iseut

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« Même quand elle marche on croirait qu'elle danse », Charles Baudelaire

            Allongée dans l'étroite baignoire, Blanche réfléchissait. Elle n'avait pas parlé, lui non plus d'ailleurs. Elle pencha la tête, l'eau émit des clapotis au mouvement, et dévisagea Cormac. En caleçon et t-shirt, assis par terre, sa tête reposait sur le bord du lavabo en porcelaine et ses yeux fixaient le plafond tandis que sa main trempait paresseusement dans l'eau du bain. Il fredonnait de façon quasi-imperceptible une vieille chanson, de la variété française pensa la jeune femme. Parfois, ses longs doigts venaient caresser la taille de Blanche très légèrement, son toucher était si timide que la jolie blonde se demandait s'il s'agissait seulement d'une vaguelette d'eau. Elle pensa à son poète, se dit qu'à cet instant précis, bien qu'il n'ait pas dit un mot, il était l'incarnation la plus pure de son art. Discret, passant par la délicatesse, la scène une véritable symbiose entre forme et fond, Cormac devenait poésie. Son effleurement était un vers, son toucher subtil une strophe et son fredonnement, un alexandrin élégamment rythmé par le va et vient de l'eau, douces virgules caressant le corps de leur muse à une cadence lente et douloureuse.

            Le velux offrait aux deux rêveurs une vue imprenable des étoiles. Un véritable planétarium. Un air frais s'infiltra dans la pièce, Blanche se laissa glisser un peu plus dans l'eau et écouta les cigales striduler. Les voiliers miniatures séchaient au pied du radiateur, l'unique miroir de la salle de bain n'offrait plus de reflets, à la place il avait été envahi par une couche épaisse de buée. C'était pour le mieux, Blanche ne voulait pas que cette scène puisse être perçue dans son ensemble, ni par elle, ni par lui. Elle se contenterait de le voir : sa nuque dépassant du rebord de la baignoire, sa main composant le plus beau des sonnets et lui n'apercevrait que son front et ses yeux dépassant de l'eau ainsi que ses genoux blancs. Ce serait tout. Il la verrait, elle le verrait et les deux pièces de puzzle s'emboiteraient, non plus des hommes jouant à reconstruire une image mais deux bouts de bois travaillés incapable de voir le tableau terminé. Non, le rôle de spectateur, je vous le laisse. A vous et aux géants.

            Soudain, elle fut traversée par un frisson. Cormac regarda sa montre, une heure était passée. Il se leva et récupéra une serviette en éponge beige qu'il déplia devant lui. Le rouquin ne savait pas s'il devait détourner son regard ou quitter la salle de bain, il n'eut pas le temps de s'interroger très longtemps car Blanche se leva, les yeux rivés sur Cormac et enjamba la baignoire. Elle se tint devant lui, trempée, les cheveux plaqués à l'arrière, luisants, révélant son visage si particulier. Elle avait un joli regard, celui typique des myopes et de ses oreilles pendaient deux gouttes d'eau, on aurait dit des perles de cristal, si délicates. Elle se retourna, offrant son dos nu au garçon qui vint draper la serviette sur son corps menu. Des bulles de savon s'accrochaient à son cou, coulant le long de sa colonne vertébrale dans une lente descente.  Elle se laissa basculer légèrement vers lui, Cormac frotta ses bras tout d'abord avec vigueur puis, voyant son petit corps secoué, ses gestes se firent plus tendres. Enfin il la lâcha et attrapa un de ses t-shirt qu'il lui tendit. Il sortit de la salle de bain.

            Comment avait-il pu l'accuser de toutes ces choses ? Il se revit, furieux contre elle, cherchant à la faire réagir, criant comme un énergumène et secoua la tête afin d'exorciser ces pensées. Il s'assit sur le matelas posé à même le sol et attendit. Cormac était un maladroit, il l'avait toujours été. Maitrisant mal l'art de la parole, il avait opté pour l'écriture. S'il se trouvait incapable d'aborder une femme, il pouvait lui chuchoter à travers l'encre le plus beau des éloges. Mais voilà, il se présentait des situations dans la vie où la parole était inéluctable, où tous les « ce n'est pas ce que je voulais dire » ne peuvent être ni évités ni effacés, où les maladresses vocales semblent teindre l'air qu'elles contaminent de regards déçus et de rictus épouvantés.

La valse des coussinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant