Chapitre 26 - Alors arrête ! Arrête ta putain de paranoïa !

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Je ne sais pas ce que je faisais là, à courir, le corps trempé sous une pluie torrentielle dans l'obscurité qui venait de faire surface. Je n'avais même pas de chaussures, laissant mes pieds se frigorifier toujours un peu plus dans les flaques que je rencontrais à chacune de mes foulées. L'air glacial venait me frapper de pleins fouets mais je ne m'arrêtais pas, parcourant les rues, le souffle coupé. Je me laissais guider par mon instinct. Un instinct qui me conduisait là où secrètement, au plus profond de moi, je ressentais le besoin d'être. Des flashs me revenaient violemment en tête. Mon père me suppliant de sortir de ma chambre, me suppliant de lui parler, la voix brisée. Je m'y étais réfugiée après l'avoir trouvée dans la cuisine, les mots me perdant. Je ne voulais pas y croire. Mon père qui revenait, Morgan qui partait. J'avais reçue cette nouvelle comme une claque dans la figure. Durant ces trois dernières années, il ne m'était jamais venu en tête l'idée qu'un tel jour puisse arriver. Me retirer Morgan me provoquait la même sensation qu'un poignard que l'on m'enfonçait dans le cœur. Me redonner mon père ne faisait que remuer ce dernier dans la plaie, une plaie déjà bien ouverte de par ses agissements envers sa petite fille, envers sa chair qu'il avait lâchement abandonné, par peur. Mes larmes coulaient sans retenu, disparaissant sous les gouttes de pluie qui inondaient mon visage.
Mes pas ralentissaient tandis que je me demandais toujours ce que je faisais là. Pourquoi avoir choisi cet endroit ? Pourquoi ici et pas ailleurs ? Qu'est-ce qu'il m'était passé par la tête ? Je poussais une dernière fois sur mes jambes pour me réfugier sous l'entrée de l'immeuble qui me faisait maintenant face. Repliée en deux, les mains sur les genoux, je reprenais mon souffle, mes cheveux dégoulinants venant me coller au visage et m'arrachant des frissons. Mon regard se portait vers le petit interphone plaqué au mur, je m'y approchais ensuite, les mains tremblantes. Faisant défiler les noms sous mes yeux, mon doigt s'arrêtait sur celui que je ne connaissais que trop bien. Celui chez qui, dans un acte irréfléchi et désespéré je m'étais rendue. J'avais le doigt bloqué sur le petit bouton d'appel, mon cœur me disait d'appuyer, que c'était le mieux à faire. Ma tête elle, me soufflait que c'était inutile, que je ne serais pas la bienvenue ici. Échappant un sanglot, je laissais lourdement retomber mon bras contre mon corps, abandonnant l'idée de lui signaler ma présence. À quoi bon de toute façon ? Je n'avais rien à lui dire. Il n'allait sûrement pas apprécier que j'arrive à l'improviste sans vraiment savoir pourquoi. Inutile. C'était inutile.
Je me laissais glisser le long du mur, me recroquevillant au sol tout en fermant les yeux. Qu'est-ce que je faisais là ? J'étais frigorifiée, pieds-nus, vêtue d'un petit pull en laine maintenant tout trempé. Je devais avoir l'air pitoyable, tremblant de tout mon être, la fatigue me menaçant de m'effondrer à tout instant. Je me sentais seule, si seule et perdue. Le voyage en Angleterre me paraissait maintenant beaucoup plus plaisant que l'instant présent, qui lui, était un doux supplice. Je relevais doucement la tête, une partie de mon visage toujours caché par mes bras. Des passants marchaient sans même me jeter un regard. Les seuls qui osaient le faire le détournaient aussitôt, pensant sûrement que j'étais une sans-abri qui allait leur réclamer quelque chose. D'autres encore, avaient un regard interrogatif, voir méchant. Tous ces gens, je les voyais, ils me jugeaient, ils complotaient contre moi. Un bruit attirait soudainement mon attention. C'était comme des tapements sur le sol, une forte respiration, de légers jappements. Je fronçais les sourcils avant de voir arriver en trombe devant moi un immense chien noir. Un chien qui ne m'était malheureusement pas inconnu.

- Qu'est-ce que... Fit une voix rauque.

Je laissais mes yeux glisser sur la laisse qui le retenait, tombant alors sur une main gantée de noir. Mon cœur palpitait, mon ventre se nouait. Je continuais mon chemin le long du bras, atterrissant sur un visage recouvert d'une capuche. Des mèches rouges y dépassaient, cachant des yeux emplis de stupéfaction. Démon s'était approché de moi pour me renifler, remuant légèrement de la queue. Castiel, lui, n'avait pas bougé d'un pouce, comme figé. Je levais mes yeux sur lui, des yeux vides, sans émotions.

- Lolita ... ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? Lança-t-il, abasourdi.

Ma bouche s'entrouvrait, pourtant, aucun son n'en sortait, comme si ma voix était bloquée. Et à vrai dire, je ne savais pas moi-même ce qui m'avait poussé à me réfugier ici. Je me sentais bête, honteuse, mais surtout des plus pitoyables. Son regard virait sur mes pieds que j'essayais tant bien que mal de cacher, me pinçant les lèvres, prise d'un soudain mal-être. Ne me regarde pas comme ça, je t'en supplie... Ses sourcils se fronçaient alors qu'il faisait un pas vers moi.

- Qu'est-ce que t'as fait de tes chaussures ? J'peux savoir ce qui se passe ? Demanda-t-il, n'en croyant pas ses yeux.

J'étais incapable d'émettre le moindre son. Il soufflait devant mon silence tout en se pinçant l'arête du nez, puis, il ouvrit la porte d'entrée où Démon se précipitait. Il se tournait alors vers moi, comme s'il attendait que je fasse quelque chose.

- Ne reste pas ici, entre. Fit-il alors.

Je me levais, hésitante, tout en entrant dans le hall où je le suivais jusqu'au deuxième étage. Il poussait la porte d'entrée en silence, sa main posée sur mon dos m'incitant à pénétrer dans son appartement me provoquait un énième frisson. Il ne fallut que quelques secondes pour qu'une douce chaleur m'envahisse le corps dès l'instant où j'arrivais dans son petit salon. La pièce était tout aussi chaleureuse que la première fois que je m'y étais trouvée. Je me tournais finalement vers lui, attendant qu'il retire sa veste.

- Je... Je ne veux pas déranger. Avouais-je d'une petite voix.
- Ça va. Assis-toi je vais te chercher une serviette. Fit-il en me rejoignant dans le salon, s'ébouriffant les cheveux aplatis par sa capuche.

Je m'exécutais en silence, prenant place le petit canapé noir. Une porte s'ouvrait soudainement derrière moi alors qu'il s'apprêtait à y entrer. Je me retournais par curiosité, de la buée sortait de la pièce que je devinais être la salle de bain. Plissant les yeux, je distinguais une fine silhouette apparaître peu à peu. Castiel soufflait avant de poser ses poings sur ses hanches, me laissant voir entièrement cette silhouette. Mes yeux s'ouvraient de stupéfaction devant cette fille qui venait de sortir de la pièce, seulement vêtue d'une petite serviette enroulée autour de son corps. Ses cheveux humides et blonds lui retombaient en cascade dans le dos. Un petit pincement vint me serrer le cœur. Qui était-elle ? Mon pouls s'accélérait soudainement. Je n'aimais pas ça, je n'aimais pas ça du tout. Et si elle était là pour m'espionner ? Pour lire tout au fond de mes pensées ?

- T'étais obligé de sortir à moitié à poil ? Je t'ai mis des fringues sèches sur le lavabo, tu les as pas vus ? Lança Castiel d'un air blasé.
- Oh pas de chichis entre nous Cast' ! C'est pas comme si j'allais malencontreusement laisser tomber cette petite serviette ! Répondit-elle d'une voix taquine avant de le contourner, se dirigeant dangereusement du canapé où je me trouvais.
- Cynthia va te saper ! Fit-il, quelque peu agacé.

Mon cœur s'accélérait quand elle m'aperçut enfin. Je la regardais, sourcils froncés, tandis qu'elle rehaussait les siens qui étaient parfaitement dessinés, de magnifiques yeux bleu lagon reflétant soudainement la surprise.

- Oh je... Je savais pas que t'avais invité quelqu'un ! S'exclama-t-elle suivi d'un petit rire gêné.Je suis Cynthia et toi ?

Je détournais le regard, comme pour lui empêcher de lire au travers moi. Qui sait, elle pourrait voir que je me méfie d'elle.

- Lolita. Soufflais-je sur mes gardes.
- Cynthia... Ajouta Castiel d'exaspération.
- Oui, oui ! Je vais m'habiller ! S'écria-t-elle avant de se précipiter dans la salle de bain.

Je me remettais droite, complètement perdue. Qui était-elle bon sang ? Ils devaient être très proches pour qu'elle ose se montrer en petite serviette sans aucune gêne. Je déglutis, m'imaginant tous les scénarios possibles comme les plus improbables. Et s'il s'était douté que je viendrais ici ? Il l'aurait alors fait venir pour épier mes moindres faits et gestes, mes moindres pensées, pour ensuite aller lui raconter. Je soufflais, désespérée.

- Tiens, prends-ça pour te sécher. Je t'ai mis un pull sur mon lit, va te changer. Fit-il doucement en me tendant une serviette blanche.

Je relevais le visage, croisant son regard. Je le sentais préoccupé, anxieux. Se doutait-il que je méfiais de quelque chose ? Je le remerciais vaguement avant d'entrer dans sa chambre où seule la lune me permettait de voir quelque chose. Une douce odeur y émanait. Son odeur. Je retirais mon pull imbibé d'eau avant de m'approcher de son lit. Sa valise était au pied de celui-ci, entrouverte et des vêtements en sortant de tous les côtés. Il n'avait même pas pris le temps de la ranger. Je m'emparais du haut qu'il m'avait sorti, c'était un grand pull en laine noire. Ce dernier me tombait sur les genoux une fois enfilé, mes bras ballants dans des manches deux fois trop longues. Je ramenais ces dernières vers mon visage, inhalant cette douce odeur qui était incrustée. Cette odeur qui le suivait partout, prenante et enivrante. Je soufflais de bien-être avant de retirer mon jean qui me collait à la peau et me laissait une désagréable sensation avant de finalement sortir de la chambre, m'essuyant les cheveux avec la serviette. Des rires étouffés me parvenaient jusqu'aux oreilles alors que je m'approchais timidement du salon. Ils étaient là, sur le canapé à rire comme des complices, une bière à la main. Est-ce qu'ils riaient de moi ? Avait-elle réussie à lire dans mes pensées et tout lui raconter ? Pourquoi paraissait-il si heureux ? Je me sentais soudainement de trop, interférant dans leur petite vie où je n'avais pas ma place. Pourquoi cette vue me pinçait le cœur ? Pourquoi j'avais cette boule dans l'estomac en le voyant si enjoué face à cette Cynthia ? Il s'approchait soudainement d'elle avant de lui extirper une cigarette de la bouche, la coinçant entre ses lèvres tout en prenant une taffe à son tour.

- Fume pas tout putain, ça coûte cher ces bêtes-là ! Ricana-t-elle en lui donnant une tape sur l'épaule à laquelle il répondit en pouffant.
- C'est pour le paquet que tu m'as volé un jour, souviens-toi.
- T'as quand même accusé tout tes potes avant de trouver que c'était moi ! Surtout que je les fumais devant toi, faut le faire quand même ! Le taquina-t-elle.
- T'es con... Rit-il avant de lever ses yeux vers moi.

Son expression si enjouée disparaissait pour laisser place à une petite mine, semblant préoccupé. J'aurais voulue me faire toute petite, me cacher. Mon dieu, je me sentais si mal à l'aise. Cynthia se tournait à son tour, me détaillant des pieds à la tête avec un petit sourire attendri. Elle se décalait vivement d'une place sur le canapé avant de tapoter sur celle d'à côté, m'incitant à m'asseoir. Inutile de jouer un rôle avec moi... Je m'y installais à contre cœur tandis que Castiel se levait pour partir en direction de la cuisine. Je portais discrètement mon attention sur la jolie blonde qui buvait tranquillement sa bière, assise en tailleur à mes côtés. C'était interdit d'être dotée d'une telle beauté... Ça devait être fait exprès pour m'intimider et ainsi déceler toute faille en moi. Son visage était fin, doux. Elle portait un t-shirt de Castiel qui laissait découvrir d'innombrables tatouages sur ses bras ainsi que quelques-uns qui ressortaient du col, se glissant le long de son cou. Cette dernière devait sûrement remarquer que je la détaillais puisqu'elle posait ses yeux dans les miens, me perçant d'un regard bleu intense avec un fin sourire. Je n'aimais pas ça, on aurait dit qu'elle essayait de lire en moi, comme si elle voulait entendre mes pensées, comme si elle pouvait les entendre. C'était comme si j'hurlais ces dernières à haute voix, les partageant malgré moi avec tout le monde. Je fronçais les sourcils avant de détourner nerveusement la tête, tombant nez à nez avec une tasse fumante. Je relevais le visage, stupéfaite. Il avait encore cette expression indéchiffrable sur la figure. Je prenais cette dernière en silence tandis qu'il allait se rasseoir à côté d'elle, entamant une énième discussion. Je portais la tasse à mes lèvres, buvant le chocolat qu'il venait de me préparer, leurs voix toujours aussi enjouées s'élançant dans mes oreilles. J'avais l'impression d'être de trop, voir même de ne pas exister, toujours avec mille et une questions en tête concernant cette fille qui riait de bon cœur. Qui était si tactile. Qui était si... parfaite.

- Et toi Lolita ?

J'échappais un sursaut avant de me tourner vers cette jolie voix qui venait de m'interpeller.

- Pardon ? Balbutiais-je tandis que Cynthia me fixait en souriant.
- Ta pire expérience au lit ? Rit-elle, impatiente d'avoir une réponse.

La gorgée de chocolat qui s'écoulait dans ma gorge me revenait subitement en bouche, me provoquant un petit étouffement suite à sa question. Un second rire mélodieux s'échappait de sa bouche tandis que je virais au rouge, mes yeux s'écarquillant.

- Pour l'instant le gagnant est Castiel avec cette fois où il m'a...
- Cynthia... La coupa-t-il, la fixant d'un air menaçant.
- Faut pas avoir honte ! Ça m'a bien fait rire sur le coup tu sais ! S'esclaffa-t-elle.
- Arrête... Souffla-t-il entre ses dents.

Mes yeux qui fixaient la tasse étaient vides. Une vague de mal-être m'envahissait. Je déglutis silencieusement, me questionnant sur la relation qu'il entretenait avec elle. Une ambiance pesante était soudainement tombée entre nous. Cynthia qui avait ressenti le malaise frappait dans ses mains d'un air décidé.

- Bon ! Et si on commandait des pizzas ! Lança-t-elle tout sourire avant de se lever. Je m'occupe de tout ! Ajouta-t-elle finalement avant de s'éclipser pour téléphoner.

L'ambiance pesante semblait s'être multipliée par dix une fois cette dernière ayant quittée le salon. Je n'osais plus bouger, même plus respirer. Je sentais le regard de Castiel s'appuyer sur moi, me figeant sur place. Des images me venaient en tête, lui et cette fille s'adonnant à des plaisirs charnels, des images que j'essayais de chasser le plus rapidement de mon esprit, me donnant la nausée. J'entendais ce dernier se frotter le visage avant de se lever du canapé, ses pas se dirigeant vers la cuisine. Je soufflais silencieusement, pestant contre moi-même d'être venue ici. Je n'aurais jamais dû. Cette soirée était épouvantable. Mes pensées se portaient alors vers Morgan et mon père qui devaient mourir d'inquiétude, partant à ma recherche sous cette pluie qui n'en finissait plus. Je posais la tasse sur la table avant de me prendre le visage entre les mains. Je me sentais honteuse de leur faire subir tout ça. Je n'avais même pas pris le temps de prendre mon portable pour pouvoir avertir Morgan qu'il n'avait pas de raisons de s'inquiéter. Je suis si stupide, si conne.

- Il devrait arriver dans vingt minutes ! S'écria Cynthia avant de s'affaler à mes côtés. Dis, je suis désolée si je t'ai brusquée tout à l'heure. Je suis assez ouverte sur ce genre de discussions et j'oublie parfois que ce n'est peut-être pas le cas de tout le monde. Après tout, on se connaît pas, c'est normal ! Ajouta-t-elle en souriant.

Arrête ça tout de suite... N'essaie pas de faire la gentille avec moi, tu ne soutireras aucune information de ma part. Je lui répondis par un semblant de sourire avant de reporter mon attention sur le sol qui me paraissait soudainement très intéressant. Je ne devais pas laisser mes sales pensées m'envahirent, elle pourrait les entendre et s'en servir contre moi. Les pas de Castiel résonnèrent jusqu'à moi tandis que ce dernier venait prendre de nouveau place sur le canapé en silence. Les discussions reprirent de plus belle entre les deux acolytes, mais Castiel semblait avoir perdu son engouement si présent en début de soirée. Je les écoutais d'une oreille, essayant de lutter contre le sommeil qui m'envahissait. Je serais des plus vulnérable si je m'endormais. Mais je ne pouvais plus, j'étais morte de fatigue. Tant pis...

Arrêtez ! Je ne suis pas folle ! Non...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant