Chapitre 1: Maylie

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Mon réveil sonne et je bondis de mon lit, heureuse comme une gamine le matin de Noël. Je vais rentrer à la fac. Si la plupart des ados de dix-huit ans bougonnent a l'idée d'aller a l'université, moi j'en suis la plus heureuse. Depuis que j'ai appris l'existence de ma maladie cardiaque, je me suis rendue compte à quel point la vie est fragile et précieuse. C'est déjà un miracle que je sois parvenue a vivre aussi longtemps et que je n'aie pas fait de malaise depuis quatre ans. Alors je veux profiter de chaque instants que la vie m'offre.

J'attrape mes vêtements que j'ai préparé hier et file a la douche. Ça peut paraître anodin mais, comme beaucoup d'autres choses de la vie quotidienne, la douche est un moment de pur bonheur pour moi. L'eau chaude sur ma peau, je ne sais jamais si c'est la dernière fois que je peux en profiter ou si je serais encore en vie demain pour en prendre une. Alors je prends tout mon temps, tous les matins. Pas trop non plus pour ne pas être en retard. Je me sèche, m'habille et me maquille sobrement avant de descendre à la cuisine avec ma valise pour prendre mon petit-déjeuner. Enfin "petit" est un euphémisme quand vous connaissez ma mère, Jenna. Depuis l'annonce de ma maladie, elle a démissionné de son poste d'assistante de direction pour un magazine de mode afin de consacrer son temps à s'occuper de moi entre autre en me faisant des festins de peur que je ne prenne pas assez de poids puisque ma déficience cardiaque me pompe pas mal d'énergie, en me bordant dans mon lit ou en paniquant lorsque je fais tomber un objet. Je dois avouer que ça m'agace son comportement surprotecteur comme si j'avais cinq ans et je me sens coupable de l'avoir incitée à mettre fin à sa carrière. Mais elle me rassure en me disant qu'elle ne regrette rien et que je suis son plus beau cadeau de la vie.
- Salut m'man, lancé-je en piquant un morceau de bacon directement dans la poêle.
- Bonjour mon ange. Bien dormi ?
- Comme un bébé.
Au début je faisais des cauchemars et je me réveillais chaque nuit pendant quatre mois en hurlant de terreur. Je rêvais que mon coeur s'arrêtait et que je ne me réveillais jamais. Puis j'ai fini par m'habituer à ma maladie et maintenant je dors normalement. Si je ne devais pas prendre mon traitement tous les jours et si je n'avais pas cette longue cicatrice sur le côté droit de ma poitrine, là où le pacemaker m'a été implanté, je pourrai dire que je suis une fille tout ce qu'il y a de plus banale.
Nous nous asseyons avec ma mère - Papa est au travail depuis un moment - et elle me prend la main en me regardant avec admiration.
- Nous sommes tellement fiers de toi, mon coeur, que tu rentres à l'université.
Je lui souris. Moi aussi je suis fière de moi. Pas vraiment pour le fait que je rentre à la fac, mais parce que j'ai vécu assez longtemps pour y accéder. La plupart des malades cardiaques ne dépasse pas les trente ans et en ce qui me concerne, on me donnait encore trois ans maximum. Aujourd'hui, ça fait quatre ans. Ca fait quatre ans aussi que j'attend une greffe. Je suis encore sur la longue, très longue liste d'attente... Mais, comme on dit, tout vient à point à qui sait attendre. Alors je garde la foi, je n'ai pas le choix de toute façon, sinon j'aurais fini par péter un plomb.
L'espoir est mon seul et unique allié, aujourd'hui.

12 heures. C'est le temps du trajet jusqu'à l'Université de Yale, dans le Connecticut. J'ai été admise dans cet établissement prestigieux afin d'y faire des études de médecine. Mon rêve serait de trouver un remède contre les maladies cardiaques et les cancers. Quand j'étais toute petite, mes parents m'avaient offert une boîte de scientifiques remplie de tubes à essais, éprouvettes, microscope... En jouet, bien évidemment. Toujours est-il que j'ai toujours voulu être scientifique. Mais ma bacchycardie m'a convaincue de me tourner vers la médecine et les recherches contre les pathologies graves.
Ma mère a carrément voulu déménagé quand elle a su que je partais aussi loin. Mais avec papa, nous avons réussi à la convaincre en établissant un compromis, toutefois. Moi qui rêvait de liberté et d'indépendance en me mettant en colocation, j'ai finalement dû faire une croix dessus et accepter de vivre dans la résidence universitaire. Maman a peur que je sois seule et que je fasse un malaise. Je peux la comprendre, je suis leur fille unique. Unique et malade. Elle a aussi insisté pour faire les douze heures de route avec moi alors que j'aurais très bien pu prendre le bus. Mais non, quand ma mère a une idée en tête, elle ne l'a pas autre part.
- Allez go, il est 8h, sachant qu'il faut faire des pauses d'une heure toutes les deux heures, ça nous fera arriver là bas à...
Je lève les yeux au ciel. Elle n'a jamais été vraiment douée en maths.
- 2h demain matin, lui soufflé-je.
- Oui bon, on s'arrêtera dans un hôtel, dit-elle. Tu as tout ce qu'il te faut ? Tu n'as rien oublié ? Bon sang ou est mon sac à main ?
Elle court partout dans la maison et je lui montre la console de l'entrée du doigt avant d'enfourner un pancake dans ma bouche.
- C'est moi qui suis censé entrer en fac et c'est toi la plus stressée, me moqué-je.
- Très drôle,  réplique-t-elle. N'empêche qu'on va être en retard.
- Relaxe maman, on est vendredi je ne commence les cours que lundi, on a encore tout le week-end.
Elle s'arrête devant moi et hausse ses sourcils bruns parfaitement dessinés sur son visage à peine ridé.
- Oeu est passé la Maylie qui trépignait d'impatience à l'idée d'aller à l'Université ?
Je hausse les épaules.
- Je me rends compte que ma petite maman va me manquer alors je voudrais passer un maximum du temps qu'il me reste avant lundi avec elle, souris-je.
Elle me serre alors dans ses bras.
- Oh mon bébé tu grandis tellement vite, tu vas terriblement me manquer mon poussin.
Je lui lance mon regard sévère.
- Je t'interdis de m'appeler comme ça quand on sera dans la résidence.
Nous rions de concert puis je finis de me préparer pendant que maman met ma valise dans le coffre de la voiture. Je regarde une dernière fois la maison de mon enfance que je ne reverrai pas avant les prochaines vacances avec un air triste, mais également joyeux. Je vais enfin pouvoir être indépendante.


- Pas d'alcool, pas de drogue et... tu sais ce qu'on t'a dit à propos du... enfin tu sais quoi... avec les garçons...
- Papa, s'il te plaît arrête, le supplie-je tandis que maman s'arrête à une station service pour reprendre de l'essence.
Il soupire à l'autre bout du fil.
- Je regrette de ne pas pouvoir être là pour ta rentrée. Mais je te promets que je serai là pour ta remise du diplôme universitaire.
Je lève les yeux au ciel.
- C'est dans deux ans.
- Oui. Et je serai là.
La question est de savoir si moi je serai encore la... Mais j'évite de lui faire la remarque. Je n'ai pas envie de le mettre en rogne.
- Papa, je vais devoir te laisser on est arrivées à Washington on prend de l'essence et nous allons à l'hôtel.
- D'accord ma puce. Vous m'appelez aussitôt arrivées, hein ?
Je lève les yeux ciel.
- Oui papa.
- Je t'aime mon Cookie, je suis tellement fier de toi.
- Oh c'est pas vrai, vous allez arrêter avec ces surnoms débiles, je n'ai plus cinq ans. Vous êtes incorrigibles maman et toi.
Il rit.
- Bisous mon coeur.
- Je t'aime, réponds-je avant de raccrocher.
Maman est à l'arrière de la voiture, occupée à nourrir la voiture. Je descends et lui lance.
- Je vais aller chercher un truc à grignoter dans la boutique.
- D'accord. Oh ! Tu peux me prendre une boisson énergisante, s'il te plait ?
Ma mère raffole de ces cochonneries. Vous comprenez maintenant pourquoi elle agi comme si elle était branchée sur du 220 volts ?
C'est à ce moment là que je le rencontre. Il tente vainement d'ouvrir la porte du magasin. Des clients passent devant lui sans même lui accorder un regard. Il y en a même qui entrent mais qui lui ferment carrément la porte au nez. Quelle société de merde ! Tu peux crever seul dans la rue que personne ne viendra à ton secours. Ainsi va la vie.
Toujours est-il que moi, je ne cherche pas midi à quatorze heures pour lui ouvrir la porte et le laisse passer avant moi. Ses yeux croisent alors les miens. Waow, la vache ! Ils sont tellement bleus qu'ils frisent la transparence. Ça existe cette couleur ?! Il est à peine plus jeune que moi, dix-neuf, peut-être vingt ans. Il me sourit, creusant une petites fossette sur sa joue et mon coeur fait un bond.
- Merci.
Putain, et sa voix ! Mon pauvre coeur malade fait la course. Ce mec pourrait aisément me servir de pacemaker. Je dois être rouge comme une pivoine.
- De... de rien...
Puis il entre dans le magasin sans plus m'adresser un mot. Euh, sinon je m'appelle Maylie et toi ? J'entre à mon tour, déçue. Vous connaissez ce sentiment de déception qui vous envahit quand vous rencontrez une personne super canon que vous ne reverrez jamais ? Et bien, je ressens exactement la même chose. Je le mate furtivement pendant que je fais mes achats mais il ne m'accorde pas un seul regard, comme si je ne venais pas de lui sauver la mise. Hey, je te signale que sans moi tu serais encore dehors, tu pourrais au moins me donner ton prénom. Et ton numéro de téléphone, tant qu'à faire. Depuis quand je pense à ça, moi ? Les études, d'abord, les mecs après. C'est mon mantra quotidien depuis que j'ai douze ans. Mais ça, c'était avant que je n'apprenne ma maladie...
Au moment où je commence à m'avancer vers lui pour lui parler (de quoi, je n'en sais rien mais ma conscience me dit de ne  pas laisser filer cet Apollon), il s'en va à la caisse, m'ignorant totalement, et un client passe juste devant moi quand je veux suivre le mec handicapé. Du coup, je me retrouve derrière le vieux qui est derrière le jeune qui m'a tapé dans l'œil. Et en plus, celui devant moi à une tonne de courses. Le mec au fauteuil roulant se dirige vers la sortie. J'ai alors l'idée de lui rouvrir la porte mais j'aperçois ma mère qui arrive au même moment et elle me devance.
- Allez y jeune homme, lui dit elle.
- Merci madame.
Parfois, j'ai envie de tuer ma mère. Celle ci me rejoint à la caisse.
- Tu compte rester camper ici ?
- Je crois plutôt que c'est lui, lui chuchoté-je en désignant l'homme qui met trois plombes à compter sa monnaie.
Machinalement, je tourne la tête vers la vitrine mais il n'y a plus aucune trace du mec en fauteuil roulant. Mon coeur se serre de mélancolie... Et voilà comment j'ai rencontré le plus beau mec que je ne reverrai plus jamais.

Pour Maylie (Arrêtée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant