~ Agathe ~Trois mois après l’accident…
Jusque-là, étudier dans une petite ville me convenait parfaitement. Mon sens de l'orientation plus que limité et mon inadaptation sociale ne m'avaient finalement pas posé problème. Après plus de trois années passées dans cette minuscule métropole, j'étais enfin parvenue à ne plus dépendre de mon GPS. Un véritable exploit ! Et j'avais même réussi à tisser plus de liens qu'au cours de ces vingt dernières années d'existence. En y réfléchissant bien, cela n'avait rien d'étonnant, puisqu’ici traîner dans une petite bande s'apparente à boire un verre avec la quasi-totalité des étudiants qui peuplent la modeste université.
Le mois de septembre venait de s'écouler dans une lenteur extrême, presque mortelle. Et, ma constante gentillesse avait laissé place à une irritabilité sans précédent, alimentée par une soif de vengeance qui s'attise de jour en jour.
— À quoi penses-tu, Agathe ? m'interroge Manon qui est assise à côté de moi.
Je jette un regard en direction de l'estrade sur laquelle se tient le professeur de langue française et lorsque tout danger de réprimande est écarté, je me retourne vers mon amie.
— À rien, rétorqué-je un peu trop sèchement.
Elle me dévisage un instant, puis sans un mot, elle se repositionne sur sa chaise et tente de se concentrer à nouveau sur l'interminable cours de Monsieur Lepin. À la façon dont les traits de la jeune femme se sont durcis, je ne peux m'empêcher de me sentir affreusement coupable et injuste.Manon est pourtant la personne que j'apprécie le plus ici.
Dès notre arrivée à l’Université, nous nous sommes tout de suite très bien entendues. Il est rare que je parvienne à sympathiser aussi aisément. Mais elle est ce genre de fille pétillante et à l’écoute, à qui l’on se confie sans crainte et dont l’humour, parfois décalé, rend agréable la rencontre. Souvent, lorsque Simon vient me rendre visite, nous sortons tous les trois. Tous deux s’entendent à merveille. Surtout lorsqu'il s’agit de débattre sur la meilleure façon dont Manon pourra mettre un terme à sa énième relation loufoque.
Depuis l’accident, être avec Manon est une véritable bouffée d’air frais. Mais aujourd’hui, son acharnement à vouloir me redonner le sourire a le don de m'agacer. Je ferme les paupières et inspire profondément lorsqu’en songeant à l'accident qui a bouleversé ma vie, les larmes me montent aux yeux. Rien ne sera jamais plus comme avant.
Au moment où je jette un coup d’œil sur l'horloge de mon ordinateur, le cours s'achève. Hâtivement, je fourre l'ensemble de mes affaires dans mon sac avant de filer le plus rapidement possible hors de l'amphi.
— Agathe !
Alors que j'ai déjà dévalé la moitié des escaliers, la petite voix de Manon m'interpelle. Je décide de ne pas y prêter attention et continue mon chemin, heurtant quelques épaules sur mon passage. Je me sens affreusement coupable de la traiter ainsi, pourtant c'est plus fort que moi, je ressens un besoin inexplicable d'être seule.
Une fois dehors, je fais quelques pas en direction du parc le plus proche où j'envisage de passer le reste de la journée. Étendue sur la pelouse du campus, le casque soudé aux oreilles, je laisse mon esprit divaguer. Mon pouls s'ajuste au rythme de la mélodie qui se perd dans mes tympans, tandis que mes paupières se ferment. La légère brise de vent mélangée aux rayons de soleil, qui chauffent délicatement mon visage, ce même accident s’empare encore et encore de mon esprit. Il le tiraille, jouant inlassablement les mêmes scènes d’horreur : ce coup de frein, un cri strident immédiatement étouffé par ce choc sonnant l’arrivée du néant. D’énervement, je retire mon casque. Puis, mes paupières s’entrouvrent ; le chaos règne dans ma tête et ce terrible sentiment de culpabilité m’envahit de plus belle. Il ne me quitte pas, soudé à mes pas telle une ombre, si sombre que l’envie de fuir me submerge ne me quittant plus. Même lorsque mes yeux se sont de nouveau habitués à la lumière du jour et que je constate que Manon est assise à mes côtés. En silence, elle m’observe, perdue dans ses propres pensées.
— Je suis désolée pour tout à l'heure, m’excusé-je honteusement en me redressant sur mes coudes.
Mon amie m'adresse un léger sourire et reste silencieuse.
— Manon, je suis vraiment navrée, mais...
— Je sais, me coupe-t-elle d'une voix douce que je ne mérite certainement pas.
Nos regards attristés se rencontrent et pendant que je la fixe, me revient à l'esprit ce à quoi je songeais quelques instants auparavant.
— Je vais partir, l'informé-je, rompant ainsi le court silence.
— Comment ça ? Pourquoi ? s'étonne-t-elle.
— Je n'en peux plus de cette ville ! Je n'en peux plus de tous ces gens qui savent pour Simon, et qui me dévisagent. De tous ces regards pleins de pitié qui se posent sur moi, comme tu le fais à cet instant.
Confuse, elle baisse rapidement les yeux au sol et ses joues se colorent d'une légère teinte rosée.
— Oh non, je ne voulais pas te blesser, Manon. Je suis même chanceuse d'avoir une amie comme toi. Mais c'est juste que... que ça me rend dingue toute cette histoire, finis-je par avouer. Je n’arrête pas de revivre cette nuit-là, et je ne peux m’empêcher de me sentir fautive. Pour tout te dire, j'ai déjà rempli mon dossier d'inscription pour une autre université, ajouté-je en me mettant debout. Dès que mon dossier est validé, je m'en vais.
Mon amie ne semble pas vraiment surprise. Elle se lève à son tour, s'approche sans un mot pour m'enlacer de ses bras maigrelets. Je sens alors l'étreinte chaleureuse et amicale de cette jeune femme qui a tout fait pour que je retrouve le sourire, en vain.Je bats des paupières pour éclaircir ma vision qui se trouble, puis je finis par relâcher mon étreinte.
— À quelle université as-tu envoyé ton dossier ? s'enquit-elle en s'écartant de moi.
— Celle de Simon, admis-je avec prudence. J'ai besoin de me rapprocher de lui.
Manon, qui ne laisse rien paraître, m'enlace à nouveau, plus furtivement cette fois.
— Préviens-moi quand tu auras la réponse, d'accord ? Et on se fera une petite soirée rien que toutes les deux avant ton départ.
J'acquiesce d'un signe de tête et esquisse un timide sourire. En retour, Manon m'adresse un regard chaleureux avant de s'éloigner. Tandis que je la vois disparaître parmi les arbres, me sentant un peu honteuse de ne pas lui dévoiler toutes mes intentions, je prends réellement conscience de ma décision de quitter cette ville.
Je n'ai aucune idée de ce qui m'attend, mais je sais exactement ce que je compte trouver.
Ou plutôt qui.
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La Violette (Fr.) - Sous contrat d'édition.
RomanceAgathe. Voilà le seul prénom qui hante Lucas, depuis leur rencontre électrique au petit bar où il travaille. Peu importe les risques, peu importe le prix, il le sait, elle finira par succomber. Vengeance. Voilà la seule idée qui occupe les pensées...