Quelqu'un ici sait aimer ?

187 17 5
                                    

Est-ce que tu sais, seulement, combien tu as compté pour moi ? Très probablement pas.

Le fait est qu'on s'est rencontrés. En plein été, et moi, heureuse, souriante, pleine de vie... J'étais blonde à l'époque, pas vrai ? Si, je pense que si ; je me souviens de Coraline qui me dit que tu nous préfères blondes. Et moi, pure, le sourire aux lèvres, le ventre musclé par tous ces fous-rires.

Et toi, qui me regarde de loin, dit que je suis la plus jolie du camps, que tu veux un défi, qui clame sur tous les toits, pourtant, que t'en as rien à faire.

Plusieurs mois après notre rencontre, Hippolyte qui me demande ce que je te trouve.

Ton image commence à s'effriter dans ma mémoire, mais je me souviens. Tes yeux, qui changent de couleurs en même temps que le temps - et Dieu sait qu'on en a connues, des tempêtes. Ton sourire, imparfait. Ton bras, arborant une immonde brûlure de ta jeunesse. (« Il l'utilise pour draguer les nanas en soirées ! », la voix de ta meilleure amie hilare, que j'entendais en boucle dès que je te savais sorti.) Tes muscles, parce que sinon tu n'aurais pas été si intéressant. Pauvre conne. Ta voix grave, complètement brisée par moment - et qu'est-ce que c'était drôle.

Ta douceur apaisante lors de ma crise de stress. Tes mots, qui m'expliquent comment on peut croire en Dieu. Ta différence assumée, à un âge où ils se ressemblaient tous beaucoup. Ta prétendue maturité, dont je doute aujourd'hui. Ton autorité naturelle, qui guide les autres, et moi aussi, un peu.

Et ce premier baiser, oh. L'un de ces rares moments où nous n'étions que tous les deux ; moi qui refuse de m'approcher de trop près, et toi. « Pourquoi pas ? »... j'étais effrayée, et savais déjà, parce que ce n'était pas bien dur à comprendre, que c'était une mauvaise idée, une qui me laisserait esseulée. Mais tiens, c'est vrai. Si tu n'essaies pas, tu ne sauras pas. C'est là, sans le moindre doute, que j'ai perdu toute mon illusion de contrôle.

Nos amis, qui préparent leurs paris. « Il va la faire souffrir ? »« Non, on parle d'Amélie. Elle est insensible. » Ah, cette époque où on pouvait croire à ma prétendue indépendance, mon masque d'insouciance.

Tu m'as tant volé. Ma confiance envers la gent masculine, pour commencer. Mon courage, celui de passer au-dessus de ma fierté. Ma volonté à pardonner. Tu m'as rendue acide.

Tu m'as apporté, ceci dit. Tu m'as appris que je devais apprendre à protéger mon cœur. Tu m'as fait comprendre que je n'étais pas aussi douée que je pensais l'être à déceler les mensonges, à comprendre la nature des sentiments humains.

Pour la première fois de ma vie, j'ai montré mon monde à quelqu'un. J'ai ouvert mon cœur, partagé mon âme. Tu as pris mes mains, m'a demandé de te décrire le ciel - tu avais perdu tes lunettes au cours d'une bataille de radeaux, à cette époque. J'ai utilisé mes mots, c'était ma manière de partager mon cœur.

J'attendais ce moment depuis si longtemps, que je n'ai pas attendu quelqu'un qui le méritait.

Je me suis détruite, à donner le peu que j'avais à quelqu'un que je n'aimais même pas.

Car qu'est-ce que je te trouvais ? Rien. Je n'étais pas amoureuse de toi, mais d'une image, idéalisée, d'un garçon que je voyais bien meilleur que tu ne l'étais. « Tu m'apaises, Amélie, et chaque jour, je m'attache à toi. » C'était faux. Tu ne t'attachais pas à moi, tu t'accrochais à ta représentation d'un Idéal. D'une fille disponible, aimante, apaisante, douce.

Ce que je n'étais pas plus à l'époque qu'aujourd'hui.

Et Guillaume. « Arrête de t'excuser pour tes opinions. »

Et toi. Toi, qui t'en fout, toujours. Et moi. Moi, qui refuse de l'accepter, alors que je suis la seule à nier l'évidence. Moi, qui tient tant aux gens, aux choses, à la vie, aux valeurs, à la bienveillance, à qui il est impossible d'imaginer que le désabusement puisse être autre chose que feint...

Moi qui reste, pour creuser, pour comprendre, pour te cerner. Qui passe tant de temps avec toi, pour percer le mystère. Et toi, qui en profite, car on aime tous se sentir aimés et désirés, n'est-ce pas ?

Et plus nous passions de temps ensemble, plus je riais avec mes amis en disant que je ne m'attacherais pas, que j'étais loin d'être une romantique, que mon intérêt était purement épistémologique. Je pensais être au-dessus de tout ça, et finalement... Finalement j'écris un texte sur nous, alors que tu nous as oubliés.

Tempêtes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant