Ce fut comme un choc pour moi. A l'armée? Moi à l'armée? C'était tout bonnement impossible! Et pourtant j'étais là, à quelques heures de mon départ inattendu. Douze heures précisément. J'étais sur mon balcon. Je regardais le vent souffler. D'autres auraient fumé une cigarette ou seraient allés se bourrer la gueule dans un bar histoire de fuir la réalité, mais je n'étais pas de ceux-là. Nous étions au mois d'octobre, j'avais déjà mon bac, j'allais avoir dix-neuf ans le sept novembre, et j'allais bientôt quitter ma famille et mon unique ami. Ma famille, c'était ma mère et mon frère et personne d'autre. Je ne vais peux me mentir mais ça m'a fait mal de voir la réaction de ma mère. Depuis la mort de mon père, on a eu de sérieux problèmes financiers. Le soir, elle ne mangeait plus. Des fois les urgences venaient la chercher car elle s'évanouissait très souvent. Nous avions vendu la voiture et cessé notre abonnement internet. Notre frigo était presque vide. Nous mangions des haricots car c'était moins cher que la viande mais plein de protéines, avec des croutons de pain. Les repas végétariens étaient devenus une habitude pour nous tous. Enfin pour Julian et moi, ma mère disait souvent ne pas avoir faim. On entendait son ventre gargouiller mais ne disions rien. Cette routine s'était très vite installée après la mort de Gordon. On aurait pu hériter des biens de mon père mais malheureusement c'était impossible parce que justement il ne l'était pas. C'était mon beau-père et il n'était pas marié avec ma mère. Personne n'avait pu prédire sa mort. Pour les vêtements c'était la même chose. Je n'avais que quelques tenues et des chaussures dont je prenais soin.
On a longtemps vécu comme ça, entre problèmes et solidarité. Puis c'est Julian qui nous a fait remonter la pente. Quand il a eu son bac, il a d'abord trouvé un petit job chez un garagiste pour financer ses études. Il a commencé sa fac de droit mais a vite abandonné à la deuxième année, peu intéressé par cette voie . Ma mère était furieuse quand elle a su. Elle tombait de plus en plus dans la dépression et ses fils ne l'aident pas. Il a même passé deux ans entiers chez son patron qui l'hébergeait. Il me manquait vraiment. J'étais seulement en seconde à ce moment là. Puis un jour il est revenu. Je ne l'ai plus reconnu. Ses cheveux blonds étaient coupés, il avait une magnifique barbe naissante. Il était plus costaud. Quand il est venu me chercher au lycée, j'ai d'abord cru que c'était l'arrivé de nouvelles emmerdes. Mais c'était bel et bien lui. Julian, mon frère. Nous sommes rentrés à la maison avec sa nouvelle voiture. Je lui avais demandé d'où il la sortait, mais il m'avait dit qu'il en parlerait à la maison, quand maman sera là. Ma mère ne l'a pas reconnu, après tout il avait tellement changé. Puis quand il lui a tout raconté, elle a sombré en larmes. Nous étions assis tous ensemble dans le salon, une bouteille de jus d'orange posée sur la table que je fixais comme si ma vie en dépendait. Il nous a parlé de lui. Son patron l'avait aidé à fonder un comité, une start-up puis avec le temps c'est devenue petite entreprise. Et vu les qualités de "bosseur" de mon frère, l'entreprise s'est vite enrichie. Il n'était pas millionnaire, loin de là, mais gagnait suffisement bien sa vie. Cette expérience l'a beaucoup fait mûrir. Du coup, il nous a aidé. Nous avons déménagé dans cette maison. Mon frère avait une petite amie dans la capitale, là où il avait son appartement, et de temps en temps il revenait ici pour nous revoir, rendre visite à ses anciens potes, revoir l'endroit d'où il venait. Maintenant il a vingt-six ans et je peux dire qu'il a réussit sa vie. Je ne lui ai jamais dit, mais je suis putain fier de lui. J'ai aussi honte de moi. Je n'aime pas le sport, je n'aime pas aller en boîte, je n'aime pas les gens. Je n'aime rien. Mais je ne râle jamais. C'est presque un oxymore et pourtant c'est juste de la pure logique. Je ne montre pas ce que je ressens, même si je ne suis pas quelqu'un de fort mentalement. Bien au contraire. Je suis inintéressant pour certains mais je dirais que je suis juste quelqu'un de différent.
La brise automnale passa caresser mes cheveux bruns. Mon frère était blond lui. J'aime plaisanter et dire que c'est ce qui à fait son succès. Il en rit ce con. Contrairement à moi il a toujours su s'entourer. D'ailleurs son ancien patron, le garagiste, est maintenant son meilleur ami. Et moi, j'ai eu mon BAC sans décrocher de mention, et je ne sais toujours pas ce que je vais faire de ma vie. Je rentrais dans ma chambre et la regardais sans broncher. Un poste de musique, quelques livres jamais lus, un ballon de rugby jamais utilisé -je ne sais d'ailleurs pas pourquoi il est toujours là-, des cahiers à moitié remplis, des figurines cassées, une chambre de Sam quoi. Mais j'avais un appareil photo. Je pris place sur mon lit et me mis à faire défiler les quelques prises que j'avais faîtes. Une colline, des coquelicots, un chat, un papillon, une ancienne amie, des photos de novice prises comme par n'importe qui. J'aimais prendre des photos rien que pour entendre le bruit du flash, l'image ne m'intéressait pas. Même la photo de mon ancienne amie était un simple cliché penché que j'avais fait pour le simple plaisir de mes tympans. Les images qui suivirent étaient encore plus banales et loin d'être recherchées : la lampe du salon en contre-plongée avec un bout de mon doigt sur l'écran, un bout de marche d'escalier, l'épaule de mon frère, le coin d'une pièce, une pelouse... J'allais commencer à effacer ces photos quand mon frère m'appela pour aller manger un bout avec lui. Je posais mon appareil allumé sur mon lit et sortis de ma chambre.
Julian m'attendait au rez-de-chaussé tout propre, il avait finit sa séance de sport et avait déjà eu le temps de prendre une douche. Il souri quand il me vît descendre, prit sa veste et nous montâmes dans sa voiture.
" On va où? demandais-je.
- Tu veux manger où?
- Je ne sais pas, c'est toi qui décide.
- Je vois que mon frère est très entreprenant. "
Et il démarra. Le chemin était calme. La radio faisait passer une vieille chanson de Patrick Bruel et le bruit du moteur résonnait dans l'habitacle. Je regardais le ciel, la tête posée contre la vitre quand je reçu un message. J'ouvrais mon téléphone à clapet et appuyais sur les petites touches.
* Sven *
J'ai apprit pour ton départ. C'est ton bro' qui me l'a dit. Désolé je ne peux pas venir aujourd'hui j'irai te voir à l'aéroport demain matin. Peace.
Je soupirais en voyant son message. C'était mon seul ami et j'allais bientôt le quitter. Que c'est faiblard de dire ça! Je parle comme une gamine. J'observais mon écran alors que la voiture s'arrêtait au feu. Un petit cognement se fit entendre sur la vitre. Une jeune femme blonde au short court et au décolleté pigeonnant se baissa en souriant. Mon frère baissa aussitôt la vitre et la femme se pencha de mon coté pour lui parler.
" Messieurs ont-ils besoin de mes services? demandait-elle.
Je la regardais blasé. Comment une femme peut-elle être prête à vendre son corps à un inconnu? N'a donc t-elle aucune pudeur?
- Combien voulez-vous? dit mon frère en sortant son porte-feuille.
Je tournais ma tête vers lui, les sourcils froncés. Il est sérieux?
Elle souri à nouveau et déclara d'une voix un peu plus sensuelle.
- C'est à vous de me le dire.
- Votre service est à combien? reprit mon frère légèrement agacé.
- Vingt euros, dit-elle confuse.
Il enleva ses lunettes de soleil et la fixa.
- Vingt? Vous vendez votre corps pour si peu?
- Je ne peux pas monter le prix plus haut, personne n'accepterait.
Elle avait prit une voix faible, honteuse.
Julian fouilla dans son porte-feuille et sortit deux billets de vingt euros qu'il donna à la prostituée.
- Voilà mademoiselle, bonne soirée. "
Elle n'eu pas le temps de répondre qu'il avait déjà baissé la vitre et je pus lire de l'incompréhension dans le regard de la jeune femme.
L'auto démarra. Je restais perplexe.
" Pourquoi l'as tu payé? On ne l'a même pas embarqué! demandais-je confus.
- Elle a deux enfants sans père, elle vend son corps pour gagner de l'argent.
- Comment tu le sais?
- C'est une connaissance d'un ami flic. déclarait-il en tapotant ses doigts sur le volant.
- Et pourquoi tu lui as donné autant d'argent? C'est deux fois le prix qu'elle se donne!
Il soupira et me regarda froidement.
- Parce qu'il ne faut jamais oublier d'où l'on vient."
![](https://img.wattpad.com/cover/38827580-288-k994848.jpg)
VOUS LISEZ
REGARD D'UN CŒUR
General Fiction"On m'a dit de ne jamais fermer les yeux face à la réalité, mais c'est elle qui me les a fermés." Et si le monde était différent? Et si l'on voyait les gens autrement? Et si l'Histoire était différente? En serons-nous là? Cette question, peu d'entre...