Il y a fort longtemps, alors que les dinosaures venaient tout juste de périr broyés sous les cailloux venus du ciel, alors que les canettes de coca n'existait pas encore, du temps enfin où l'on se foutait bien de ta gueule lorsque tu commençais ta phrase par un « wesh !... ». Il y a donc un bon petit paquet de centenaires, dans le royaume pluvieux de Naldarode, au sud de ces terres mouillées par la pluie venue des nuages, se dressait un château, un vrai château, comme ceux des contes de fée, mais sans princesse à délivrer ni dragon à poutrer, ce qui le rendait naturellement inintéressant pour les chevaliers itinérants, en quêtes d'exploits mémorables à afficher sur leur CV.
Ce château, aux cinq tours crénelées, était la propriété d'un des (nombreux) Balron du bon Roi Godric, le seigneur de Nalrode. Ce Balron se nommait sire Nicolas-Albert de la Florencine, et il était l'un des plus puissant Balron de ces Terres. C'était un homme gras et ventripotent, qui possédait moult mentons et forces bourrelets, mais dont la bedaine imposante était, à juste titre, redoutée. L'histoire courrait en effet qu'un barde qui avait eu le malheur de déplaire au Balron était mort, étouffé dans les replis de ses différentes couches graisseuses. Mais à près tout, il ne s'agissait que d'histoires...
Le Balron de la Florencine, malgré sa physionomie, était connu pour être tout à la fois retors, fourbe et avide, cruel et particulièrement dépourvu de pitié. C'est en tous cas ce que prétendaient les paysans, ces gueux, quand il leur arrivait de se révolter contre les taxes et les trente-huit impôts différents imposés par le sévère mais toujours juste Balron. Dans des cas comme celui-ci, la diplomatie était de mise : le Balron envoyait son armée massacrer tous le bazar, et ne la rappelait que lorsqu'il ne restait plus des habitations et de leurs propriétaires que des ruines fumantes.
Ce Balron avait reçu un fils de sa femme légitime (nous ne parlerons pas ici des vingt-huit autres bâtards plus ou moins légitimes que ce grand seigneur avait également eu avec ses quinze maîtresses). Ce fils avait été prénommé Harry, mais au château il était connu de tous sous le nom de « Harry-tout-court », tout simplement parce qu'il n'avait pas encore de titre princier, qu'il n'excédait pas un mètre onze pour onze ans, qu'il était resté très gamin dans le ciboulot et que ça faisait bien marrer tous le monde.
Ce Harry était sans aucun doute l'un des enfants les plus détestables que la terre ait jamais réussi à supporter. Il était malpoli, blagueur, grossier, sale, immoral, égoïste, susceptible, feignant, irrespectueux, passait son temps à pourrir la vie des autres, geindre, se plaindre auprès de son père, échapper à Mlle Calgon (la vieille domestique censée s'occuper de l'hygiène du bambin, c'est-à-dire lui donner ses bains), tuer les pigeons (toujours eux) à coups de lance-pierre, introduire des renards dans les poulaillers pour l'unique plaisir de les voir réduits en charpie par des paysans pas content, manger (mal) et dormir (en ronflant). Pour comble de malheur, il était dyslexique, il avait donc un excellent prétexte à fournir pour expliquer sa paresse monumentale et le fait qu'il ne semblait jamais rien comprendre aux cours de Saroudane, l'archimage personnel du Balron.
Saroudane était l'un des conseillers du Balron Nicolas, mais surtout l'un des meilleurs archimages du pays : il était effectivement l'un des rares mages/sorciers, toutes catégories confondues, à avoir atteint le neuvième cycle de l'académie de magie avancée. Le titre d'archimage indiquait non seulement sa haute fonction politique, mais aussi son immense pouvoir : il n'existait en tout et pour tout que trois ou quatre archimages dans le royaume, et ils formaient ensembles le Haut Conseil de la Magie (ou H.C.M), qui établissait les règles concernant l'usage de la sorcellerie dans le royaume, et qui accessoirement tenait tous les ans un festin plantureux et payant, dont les recettes étaient reversées à l'association des Pèlerins sans Frontières, une association destinée à l'amélioration des routes dans les royaumes sous-développés. Mais nous nous écartons du sujet.
Le principal défaut de Saroudane, c'était son extrême vanité. Un mètre ruban, confectionné à partir de son orgueil monumental, aurait sans aucun doute suffit à mesurer avec précision le tour de ceinture de la planète. Et il y aurait encore eu de la marge. Beaucoup.
L'archimage détestait particulièrement ce petit gosse ridicule et imbécile, je veux dire le Très Sérénissime Héritier du Balron Nicolas, parce qu'il avait surpris un jour une partie de dominos opposant l'archimage à un quelconque larbin des cuisines du palais, et qui avait été remportée par le dit larbin. L'implosion du marmiton n'avait pas dérangé outre mesure l'âme pure et innocente de Harry, mais la croustillante nouvelle avait circulé dans tous le château en moins de temps qu'il n'en faut à un chat pour se nettoyer les moustaches, et Saroudane avait été la risée de la balronnie pendant trois bons jours. Bien entendu, il n'était pas envisageable de faire subir le sort du larbin à l'héritier du duc ; l'archimage en avait gardé un souvenir cuisant, voir franchement amer, et une haine implacable envers les dominos.
Le second conseiller du Balron était le Capitaine de la Garde, sire Vatenguerre, et son nom résumait intégralement les traits caractéristiques de sa personnalité. Soupe au lait, voir franchement caractériel, il ne s'adressait en parlant qu'au Balron et à son fils. Le reste du temps, il braillait. Il braillait pour donner ses ordres, pour exprimer indifféremment sa colère, son dépit, sa joie ou son bonheur (rarement), ou tout simplement pour donner la liste des courses à l'un des gardes qui fainéantait sur le chemin de ronde. On disait qu'on pouvait le repérer uniquement au son, à plus de trois lieue à la ronde, lorsqu'il était vraiment fâché.
Il avait, une seule fois, tenté d'enseigner quelques mouvements d'épées au jeune Harry, dans l'espoir de trouver en lui l'âme d'un vrai combattant. Après que la peste lui ait chouravé son épée, ses gantelets, son panache de plumes rouges, ait mis le feu au tout, puis, dans un moment d'ennui, ait commencé à arracher un à un les crins de la queue des chevaux regroupés dans les écuries du Balron (les chevaux, depuis ce jour, ne laissaient plus le gamin les approcher), le Capitaine avait eu la sagesse de mettre un terme à la séance d'entraînement. Depuis ce jour, il se contentait d'ignorer le mioche, sauf en la présence du Balron.
À cela, on pouvait rajouter les quelques centaines de domestiques, cuisiniers, ménagères, qui travaillaient durement à l'entretien quotidien du château, plus les soldats qui gardaient les lieux et buvaient un coup de gnôle quand l'occasion s'en présentait, malgré le règlement. Les paysans qui faisaient vivre le château par leur travail acharné et leurs économies durement acquises ne comptaient pas.
C'est dans ce château que commence notre formidable épopée, l'épopée du pas si petit Harry, qui renversa l'oppresseur haït, et sauva même tout à la fois la veuve et l'orphelin...
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Il était une fois...
HumorQu'est ce que peut donner la rencontre entre une peste insupportable, héritière d'un seigneur puissant, un vieux magicien renvoyé de l'académie avec une case en moins et une taupe de combat, un chevalier de première classe vaniteux, une petite paysa...