Chapitre 5 : Le rêve

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Nous restions quelques instants à nous regarder mutuellement, frappés par ce qui venait de se passer. La voix s'était tue, mais ce n'était qu'une question de seconde avant que quelqu'un, n'importe qui, ne se rendit compte que ce qui avait provoqué ce désastre venait de la salle qu'on occupait.

Le souffle court, je bredouillai :

« Qu'est-ce qu'on fait ? »

« Vous ne bougez pas. », fit une voix qui venait de l'entrée de la pièce.

Je me tournai immédiatement dans sa direction, et ne pus que constater que Lucian Dale, notre chef de section, nous observait Elise et moi, allongés au milieu des débris de bois éparpillés à coté de la table quasiment sectionnée en deux. Il était plutôt d'une carrure impressionnante, avec des muscles très développés et son immense taille, impression renforcée quand on était par terre à le regarder. Ce fut Elise qui réagit la première :

« On a essayé d'empêcher... ! »

« Plus un mot. », la coupa Lucian. « Vous m'expliquerez ça en haut. »

Il nous ordonna de le suivre d'un rapide geste de la main, et je commençais à me demander si ce n'était pas la pire journée de ma vie.

Nous passions devant les bureaux, sans prêter attention à l'ambiance qui y régnait : tout le monde se précipitait en bas pour observer ce qui s'y était passé. Et à vrai dire, le fait que nous en étions quelque part un peu responsables me mettait mal à l'aise.

Mais sans nous, tout le monde ici serait mort, y compris moi-même, alors je préférais nettement la situation actuelle à cette éventualité.

Lucian nous désigna d'un doigt la salle d'interrogatoires sans rien dire, et je commençais à penser que tout allait sûrement mal tourner pour nous. Une fois tous les deux installés à l'intérieur, notre chef, resté debout, tournait autour de la table dans un mouvement de prédateur.

« Alors ? Explications ! »

Là encore, ce fut Elise qui se décida à intervenir :

« On avait appris l'existence de la bombe un peu plus tôt, et on a tout fait pour... »

« La ferme ! » cria Lucian subitement d'une voix forte, nous collant tous les deux profondément dans notre siège. « Pour qui vous bossez ? »

La question était assez déstabilisante. Je me risquai à répondre :

« Baah, pour vous ? »

« Ne vous foutez pas de moi. On a trouvé des preuves dans vos mails. Quelqu'un vous a ordonné de faire ça. »

L'enfoiré. Ce salaud avait trafiqué nos mails pour qu'on nous accuse à sa place. Et on ne pouvait même plus les Swaper maintenant que notre chef de section les a lues, il deviendrait Sujet...Bordel, il avait donc toujours trois coups d'avance ?

Un rapide coup d'œil échangé avec Elise suffit pour nous comprendre. On était cuits.

« C'est ce Silvan Yorks, n'est-ce pas ? », nous lança t-il d'un ton méprisant. Notre désarroi lui répondit à notre place. « Quand je pense que je vous faisais confiance... », pesta t-il avec un coup d'œil appuyé vers Elise...

Et moi, tu pouvais pas me blairer ?

« Les autres sont en train de s'occuper des blessés. Je vous arrête. Vous allez passer la nuit ici, on vous transférera plus tard. », nous annonça t-il en sortant des menottes de sa poche arrière.

Ça y est. J'allais en prison pour le reste de ma vie. Ce n'était pas un avenir très radieux...Si seulement je pouvais faire quelque chose !

Après nous avoir entravé tous les deux, il nous emmena hors de la pièce et nous conduisit en garde à vue. Juste avant de nous pousser dans la cellule, je sentis qu'il me fourrait un morceau de papier dans les mains, avant de me les libérer. Une fois qu'il fut parti, je pus le lire en toute sécurité :

« Je connais Silvan, je sais qu'il vous a piégé. Personne ne me croira à l'Agence. Je vous fais évader demain matin. »

Une vague de soulagement m'envahit, même si je me mettais à penser que la situation devenait un peu trop complexe à mon goût. Je passai discrètement le mot à Elise, qui me fit comprendre d'un signe qu'elle avait saisi. Je me préparai donc à passer une nuit paisible avant la journée de demain qui s'annonçait mouvementée...

Mais la nuit ne fut pas vraiment paisible. Je fis un rêve très curieux, qui parvint à me tourmenter.

Je m'étais fabriqué une jolie cabane en bois, simple, accueillante, et profitais de son atmosphère reposante en observant l'extérieur par la petite fenêtre que j'y avais aménagé : le soleil se couchait, et projetait ses lueurs écarlates sur le monde, colorant tout ce que je pouvais voir d'un rouge sombre.

De nombreux nuages lourds obscurcissaient le ciel, et je m'attendais à voir des éclairs tomber de ces silhouettes menaçantes. Mais ce fut autre chose qui attira mon attention : on tapait à la porte, des coups répétés et sourds.

Je fis vite volte-face, et contemplai en silence la porte faite de simples rondins de bois. Lentement, émettant un grincement inquiétant, le panneau pivota sans que rien ne le touche, et me laissa apercevoir mon visiteur.

C'était un masque blanc, parfaitement triangulaire, qui semblait flotter en l'air de façon surnaturelle. Derrière lui, les dernières lueurs du soleil me parvenaient, et semblaient couler sur l'ouverture comme une traînée de sang.

J'ouvris la bouche, comme pour protester, mais aucun mot ne franchit mes lèvres. J'observais, immobile, le tableau qui s'offrait à moi. Le masque n'avait rien fait, sinon ouvrir la porte. Mais, intérieurement, je savais qu'il était responsable de ce qui allait m'arriver ensuite.

Le toit de la cabane fut arraché, comme emporté par une bourrasque de vent particulièrement violente. La lumière rouge envahit brusquement mon espace de vie, et commença à briller si fort que j'en fus ébloui. Puis, les fondations et les murs de mon édifice s'effondrèrent de même, et me laissèrent seul, à genoux sur le sol brûlant, aveuglé par la haine, face au masque qui continuait à me contempler sans un geste.

Le ciel lui-même se déchira, les nuages noirs déversèrent des torrents ininterrompus d'une pluie chaude. D'un rouge éclatant.

A nouveau, j'ouvris la bouche, mais ne pus parler : le goût du sang emplissait ma gorge, et je ne pus que voir le masque rester là, immobile, toujours d'un blanc immaculé, face à moi.

Le bruit des gouttes labourant le sol s'amplifia et s'accéléra, jusqu'à ce que...

Je me rende compte qu'il était bien réel : l'étroite fenêtre munie de barreaux laissant entrevoir l'extérieur me permit d'observer la pluie tenace qui régnait à l'extérieur, malgré l'heure apparemment très matinale. Un bruit discret attira mon attention : c'était Lucian qui frappait quelques coups sur les barreaux pour nous réveiller. La grille coulissa le long du sol dans un léger crissement métallique, et je suivis immédiatement Elise qui s'était levée pour sortir.

Nous n'avions pas beaucoup de chemin à parcourir avant d'atteindre l'entrée de l'Agence, au pied de laquelle nous attendait un fourgon déjà ouvert.

Lucian nous poussa à l'intérieur, et démarra d'une allure rapide.

« On va devoir se presser », nous annonça t-il alors que j'essayais de garder mon équilibre à l'arrière du véhicule, « il se peut qu'on soit suivis. »

« Attendez », demandai-je, inquiet « vous leur avez pas dit que vous nous emmeniez ? »

« Votre transfert était prévu pour demain », nous apprit-il en vérifiant la route d'un coup d'oeil, « et c'est pas moi qui était censé m'en occuper. »

Excédé, je parvins à me glisser à l'avant du fourgon, pour pouvoir vérifier les rétroviseurs. J'y reconnus bien vite à nos trousses les véhicules que j'étais habitué à utiliser en fonction, et me figeai sur place.




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