Killin, Écosse, Royaume-Uni

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Il pleut, et je suis Grace.

Mon sweat se gonfle d'air et la fermeture éclair tinte contre le guidon.

Une poussée d'adrénaline me traverse et un cri s'échappe de ma gorge, pas un cri d'effroi mais un cri de délivrance.

Je suis enfin loin des "normes" de la société, de ses soit disant critères de beauté et d'intelligence.
Je suis loin de ce raisonnement superficiel. Je suis libre, libre de mes pensées et de ce que je suis.

A présent je cris, je m'égosille, je rigole et je pleure, de joie, de tristesse je ne sais pas.

La pluie se confond avec mes larmes pour former un rideau d'eau et d'émotions diverses, je pleure à en devenir moi même de l'eau.

Aussi complexe que limpide et autant cassante que indomptable.

Passé ce temps d'euphorie, je contemple les panneaux de signalisation, je dois choisir la ville où je vais dormir cette nuit et manger car celle ci est tombée.

La ville la plus proche est Killin, elle est à deux heures à vélo de Anie, il me reste environ une trentaine de minutes.

Je ne sais pas où je vais dormir ni manger ce soir, et ça m'excite.

La pluie s'abat de plus en plus fort et je suis trempée jusqu'au os, la route est déserte et j'en profite donc pour accélérer.

Je prends la sortie à ma droite et me penche pour que le pneu adhère à la route humide, mais je suis trop inclinée et je sens mes côtes qui s'abattent lourdement sur l'asphalte. Je me lève alors pour consulter les dégâts.

Ma cheville me lance et j'étouffe un cri de douleur avant de tomber, néanmoins je me redresse et chancelle de nouveau.

Je décide de boiter vers un motel qui se trouve à une centaine de mètres.

Pourtant, bien que ce soit quelques mètres à parcourir j'ai l'impression que c'est un bon kilomètre que je dois faire. Ma cheville est de plus en plus douloureuse et ma chaussure commence à être trop petite.

Je passe avec soulagement la porte du motel et paye une chambre pour cette nuit.

Je découvre avec soulagement que ma
chambre ne se trouve pas à l'étage mais au rez-de-chaussé.

En rentrant, j'ai à peine le temps de pousser un soupir que je m'affale sur le lit simple et m'endors.

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Je me réveille comme d'habitude à cinq heures et m'assieds en tailleur sur le matelas. Je ne peux éviter de penser ce que des gens on pu faire dessus avant mon arrivée et je ne peux m'empêcher de vite sortir du lit.

Et donc oui cette réaction prouve que je suis toujours vierge.

J'ai eu de nombreuses occasions de le faire, comme avec Yann Imper mon petit copain de seconde, où encore avec Finn Astier celui de l'Été de la même année. J'étais prête, lui aussi, on s'aimait et l'occasion était parfaite, sur la plage ou dans ma maison qui était vide. Mais non, je finissais toujours pas les larguer, ils finissaient par me dégoûter avec leurs attitudes de gamins ou leurs cheveux gras et puis au final je ne ressentais rien pour eux.

Pourtant je ne suis pas coincée loin de là, j'adore les scènes chaudes dans les films et j'entretiens une relation avec ma main. Par contre les pornos je n'en vois pas l'intérêt, je n'ai jamais aimé car pour rendre la scène désirable il faut s'échauffer à désirer avant, à flirter, à s'embrasser.

C'est comme si j'offrais du homard à quelqu'un sans le cuisiner,
il vaut cher, on l'apprécie, mais sans cuisson ni assaisonnements, il ne reste de lui qu'un vulgaire crustacé.

Le porno est donc un homard non cuisiné.

Et oui tout le monde est pareil, ce ne sont pas exclusivement les hommes qui se font du bien...

Mon ventre gronde et me coupe net dans mon monologue.
Je me dirige alors vers la partie restaurant du Luigi's Motel et m'assieds sur une banquette collée à la fenêtre.
Remarquant que la salle est vide j'en profite pour poser mon pied sur la banquette et examiner ma cheville.

Je défais doucement mes lacets de chaussures que je n'ai pas quitté depuis hier matin et fais glisser doucement celle ci en retenant un petit cri de douleur. Ma cheville a doublé de volume et je dois encore enlever ma chaussette pour mieux analyser la situation.

Ma cheville est toute boursoufflée et couverte d'hématomes gros comme des noix de Pékan.

J'entends le carillon d'entrée sonner et vois un homme dans la trentaine pénétrer dans le bâtiment, il se rapproche et à ma plus grande surprise s'assoit devant moi.

-Comment tu t'appelles?

-Je préfère vous prévenir tout de suite je ne suis pas une prostituée, histoire que vous ne perdiez pas du temps et de l'argent à me payer un petit déjeuner.

L'homme laisse sortir un petit rire et plonge ses yeux bleus de glace dans les miens.

-Je m'appelle Anton, mon travail est de livrer dans les aéroports les produits de maintenance, le gros camion rouge là bas c'est le mien, enfin celui de la société pour laquelle je travaille.

-Je vous répète que même si vous distribuez du papier cul dans tous les chiottes des aéroports du Royaume-Uni je ne souhaite pas monter dans vôtre camion, même si il est rouge.

-J'ai une femme qui s'appelle Anna et je l'aime plus que tout au monde, j'ai une fille et j'aimerai bien que si un jour elle se retrouve dans un motel crasseux, avec une cheville foulée et un vélo comme seul moyen de locomotion, qu'un homme l'emmène dans un endroit où elle serait en sécurité.

-Que ce qui me prouve que vous n'êtes pas un serial killer fétichiste des jeunes filles à vélo avec une cheville tordue?

-Rien.

La serveuse arrive alors pour prendre notre commande:

-Trois oeufs et du bacon s'il vous plaît. Commanda Anton.

-Une omelette aux lardons avec. Rajoutais je.

La serveuse fit un clin d'oeil à Anton et gonfla sa poitrine, celle ci est tellement grosse qu'elle risquerait de sortir si elle éternuait.

-Alors?

-Alors quoi?Répondis je en soulevant mon sourcil gauche.

-Tu viens ou pas?

-Je viens mais si vous essayez quoi que ce soit je vous préviens je fais du kung fu.

-Voilà vos plats!

La serveuse blonde décolorée posa les deux assiettes et pris ensuite une serviette pour venir la déposer sur l'entre jambe et le haut des cuisses d'Anton toujours avec ce sourire aguicheur.

-De vous à moi je ne pense pas que ce soit moi qui soit en danger de viol.

Anton et moi finissons de manger en discutant de nos vies respectives, je ne lui dis pourtant pas le pourquoi de ma venue ici.

Je monte avec lui dans son camion rouge, mon vélo dans la benne derrière et je pars vers une destination inconnue l'esprit léger et l'estomac rassasié.

"Je pars."Où les histoires vivent. Découvrez maintenant