II: Wagon, Alaska

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Dehors une couverture noire corbeau semble recouvrir le ciel, tellement opaque que les étoiles ne peuvent la traverser, le train avance tel un chat noir à l'affût du danger, une campagne imaginaire l'empêchant de sortir de son chemin. Le froid qui règne dans l'habitacle s'est assis à la place des voyageurs qui dorment dans un wagon avoisinant, il s'étale, cette place ne lui suffit pas, comme les grands rois il décide d'avoir plus et de conquérir mon être luttant contre cette invasion en vain. Mes doigts sont déjà insensibles et durcis, mon corps ressemble à une statue de glace et mes yeux à des billes de melon gelées. Mes rotules émettent un grincement, pliant sous le poids du fardeau qu'est mon corps, il m'obéit quand je lui demande d'ouvrir le sas. 

J'entre dans une autre phase, une conception avant la naissance, l'ambiance y est déjà plus rouge, tirant vers un orange passé, plus chaleureuse. Bien que je sois devant les toilettes, ce qui donne tout de suite un côté moins réjouissant à la chose, je me sens nettement mieux. Le couloir étroit que j'emprunte m'étouffe tel un édredon dans lequel nous jouons étant enfant, ce couloir est un monstre, il n'est pas vilain comme tout le monde le pense, il veut juste être remarqué, exister. Je suis un monstre tel ce couloir se projetant et nous montrant l'unique justification de son existence, une pièce.

Ma paume se pose sur le prolongement de cette pièce, une poignée. La barrière entre cette pièce et moi s'abat. Et je rentre dans la phase de la naissance, chaleureuse mais angoissante à la fois.

Elle est remarquablement organisée, des lits superposés embrassent les murs avec un écart soigneusement répété entre les couchages, elle semble symétrique mais ne l'est pas, les personnes qui s'y reposent ne sont jamais les mêmes, face à face peuvent se retrouver un homme du vingtaine d'années où une femme quadragénaire.

Je n'ai pas de couchage, plus d'argent. J'arpente les rangées à la recherche d'une que je pourrai éventuellement voler sans parler d'égoïsme car je ne me sens égoïste mais plutôt dans un besoin vital. Mes jambes s'arrêtent devant une silhouette, il est courbé, me faisant dos, ses cheveux lui retombent sur le front, il porte une chemise rouge à carreaux noirs, et un jean noir. Sa taille menue se soulève régulièrement, il est aussi fragile et translucide que du papier calque.

Je m'allonge sur la dernière banquette au fond à droite, j'enlève l'oreiller et les bras le long du corps, la tête bien droite je m'amuse à compter les noeuds du bois des lattes du lit au dessus du mien. 

Je ferme les yeux, en répétant inlassablement :

-Mais qui suis je?

-Je suis Grace Thym et tu n'as rien à craindre.

-Si j'ai à craindre.

-Mais de qui, qui te voudrais du mal?

-Grace Thym.

"Je pars."Où les histoires vivent. Découvrez maintenant