Chapitre 3 : La femme

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Après les festivités du week-end, tout le monde retourne à sa routine. Je n'aurais jamais cru que cette journée qui semblait si ordinaire, allait changer ma vie. Je traverse la place du marché à vélo, je salue quelques commerçants. Le soleil me tape sur le dos, je risque de devenir plus doré que je ne le suis déjà. J'arrive chez " Les délices de Luís ", le restaurant où je travaille en tant que gestionnaire et chef à mi-temps, je prépare seulement les pâtes. Les pâtes, c'est ma spécialité, les spaghettis, les pennes au poulet ou encore les tagliatelles au saumon et j'en passe. Chez Luís, tout le monde, doit faire preuve de polyvalence, l'ambiance est convivial et agréable. J'aime autant passé des relevés comptables à la passoire de pâte. Luís, c'est mon patron, il est comme un oncle, il est grognon quand ça lui arrive. Mais il est tout aussi joyeux et taquin, c'est du Luís tout cracher. Il est petit de taille, et il est un peu rondouillet. Il porte toujours son tablier fétiche qui a tendance à lui serrer la taille. Mais c'est sa mère qui lui avait offert, quand il a ouvert son restaurant. Elle n'est plus de ce monde donc ce tablier est un objet très important pour lui. Il a une longue moustache et une calvitie, il nous dit sans cesse que c'est cette fameuse calvitie qui fait fondre les jolies jeunes femmes. J'en rigole encore en y repensant. En arrivant, il me salue :

- Oh Graziella, come si vuole ?

- Buongiorno Luís ! Répondis-je

J'aperçois Nina, en plein service. Nina, c'est ma collègue et une bonne amie. Elle est serveuse et prépare les pizzas avec Luis. Je rentre dans le restaurant, je me dirige dans mon petit bureau. Je commence enfin ma journée de travail. Les clients sont toujours au rendez-vous, les habitants de Trapani et leur joie, de vivre est toujours intact malgré une Italie en difficulté . J'ai eu droit à une remarque déplacé aujourd'hui concernant ma couleur de peau. Mais je suis resté de marbre et n'ai rien répondu, comme dit Mamma " Dans la vie il faut répondre aux imbéciles par le silence et aux cons par la patience ". En 1970, l'Italie a du mal à donner du travail aux Italiens en particulier aux Italiennes qui sont des "travailleuses non-payées ". Les femmes ne sont en réalité pas destinées à aller à l'université. C'est la mentalité machiste de Franco et Mussolini, qui ont laissé certaines traces. La femme doit être la reine de son foyer, mais quand elle quitte son domicile, elle devient vulnérable. Mais c'est sans compter sur le mouvement féministe qui prend un engouement incroyable à cette époque. J'ai eu la chance d'avoir un père qui m'a incité à travailler et à m'émanciper. Quand il a rencontré maman, elle était en plein milieu de ses études de sage-femme. À vrai dire, c'est un salaire en plus, ramener à la maison. La journée fut longue, mais Luís était tout de même satisfait de notre travail. Il partit 3 h avant la fermeture. Car aujourd'hui, c'était moi qui étais de fermeture. Après avoir fait les comptes de la journée vers les coups de 21 h, le soleil commençait déjà à se coucher. Je fis la fermeture du restaurant en baissant les grillages de l'entrée principale, en appuyant sur le bouton automatique. À cet instant, alors que je me dirigeais vers la sortie arrière du commerce. J'entendis une femme hurlant de panique en secouant les grillages.


- S'il vous plaît, mademoiselle aidez-moi ! Mademoiselle !

Je me retournai aussitôt, je vis la silhouette d'une femme recroquevillée sur elle-même. J'avais du mal à l'apercevoir, les légers reflets du soleil et la nuit tombante m'empêchait de la voir visiblement. Je courus vers le bouton automatique qui me permettrait de lui ouvrir au plus vite. En me voyant arrivé, je vis une lueur d'espoir dans son regard.

- Oh grazie grazie ! Mademoise ...

Elle s'interrompit aussitôt prise d'affreuses douleurs. Elle toucha son ventre, encore recroquevillé sur elle-même. Je lui pris le bras et l'accompagnai jusqu'à la chaise la plus proche. Je fermai les grillages.

- Madame, nous devrions aller à l'hôpital ! Dis-je prise de panique

Je n'avais qu'un petit vélo, comment allais-je aider cette femme ? Mais quand j'allumai la lumière de la salle principale, j'aperçus l'ampleur de la situation. Je suis resté bouche bée, il fallait absolument l'amener aux urgences. Elle portait une belle robe, mais je vis cette énorme tache de sang entre ses jambes. Elle me regarda étonnée de mon expression sur le visage, elle baissa les yeux à son tour. Elle se mit à crier de douleur et de désespoir.

- NON NON NON !! S'il vous plaît pas encore !! NON laissez-le-moi, je vous en supplie !

Elle tomba à genoux les mains pleines de sang. J'étais démunie face à la situation. Je pris le téléphone qui se trouvait sur le comptoir du bar, mais elle me supplia de ne pas appeler les ambulances.

- Mais madame, vous ...

- NON ! Il ne faut pas que vous appeliez les secours, ni personnes que je connaisse mademoiselle s'il vous plaît ! Ajouta-t-elle

Je ne pouvais pas la laisser dans un tel état, prise de court, j'appelai ma mère. Je lui demandai de venir me chercher en voiture avec papa. Elle comprit à la minute que ça n'allait pas. Elle m'a posé qu'une seule question : où es-tu ?

- Au restau ... Répondis-je

J'entendis le bip bip à l'autre bout du fil, maman venait de raccrocher. La jeune femme toujours effondrée au sol, ne disait plus un mot. C'est comme si elle était inconsciente. Son regard était vide, elle était bien habillée, très présentable. Elle devait sûrement venir d'une famille aisée. Mais je ne comprenais toujours pas pourquoi elle tenait tant à ce que je ne contacte personne. Elle était brune les cheveux longs à arrivant en bas du dos. Elle avait les yeux noisette, son maquillage dégoulinait tellement, elle avait versé des larmes. Je la regardai de plus près et je vis une marque rouge immense sur sa joue gauche. Je lui demandai de s'asseoir et de patienter et lui affirmant que je comptais l'emmener dans un lieu sûr. Elle me fixa dans les yeux, et m'esquissa un sourire.
La voiture de mes parents se stationna dans la rue en face du restaurant. Dès qu'on aperçut les phares de la voiture. Elle se leva brusquement et s'éloigna de l'entrée du restaurant, comme si elle cherchait à se cacher de quelque chose ou de quelqu'un. Maman nous a rejointes dans le restaurant en voyant la jeune femme, elle l'emmena immédiatement dans la voiture. La femme ne disait toujours rien, elle avait sa main toujours posée sur son ventre et une difficulté à marcher. Avant de les rejoindre, je décidai de nettoyer le sang au sol et sur la chaise. Je montai vite dans la voiture, on se rendit à la maison. Arrivé à la maison, Mamma emmena la jeune femme dans la salle de bain avec du linge propre et des compresses, tout le matériel médical nécessaire. Je raconte à papa tout ce qui s'est passé, il me demande d'aller me coucher dans leur lit.

- Je dormirais sur le canapé cette nuit Graziella ! La jeune femme dormira dans ton lit. Va te coucher demain, tu te lèves tôt. Ajouta-t-il

Je l'embrasse et alla me coucher, inquiète pour la jeune femme. Le lendemain matin, je me réveille la première. Je prépare le petit-déjeuner, je passe un coup de balai dans la maison. Je suis assez fatigué, mais une bonne petite douche me requinquera. Avant de me rendre à la salle de bain, je me dirige dans ma chambre pour prendre quelques affaires. Mais arrivé dans la chambre, il y a personne. Le lit est nickel, tout est en ordre, mais il y a personne. Il y a juste un petit mot posé sur mon bureau en bois.

" Bonjour Graziella,
Encore un grand merci, tu portes très bien ton prénom.
Giulia "

Ce petit mot m'a profondément touché, mais je ne comprenais toujours pas. Pourquoi il y avait autant de mystère autour de cette femme. Je ne connaissais rien d'elle à part son prénom qui était Giulia. Maman m'avait appris dans la matinée qu'elle avait fait une fausse-couche et qu'elle n'en était pas à sa première.

GraziellaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant