Jeu de vilains

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Chapitre 4 — BERONIKA

"Jeu de vilains"

Journée du lundi 04 novembre 2013

Beronikaa maintenu une pression maximale sur son équipe. Sous ses ordres, l'appartement a été passé au peigne fin.L'analyse de la scène de crime a duré plus longtemps quenécessaire parce qu'elle a insisté pour que les choses soient faites d'une manière bien précise. La fatigue aidant, elle a été plus désagréable qu'à l'ordinaire. Aux alentours de 04h00du matin, enfin satisfaite du travail accompli, elle leur a donné congé. Elle sait que chaque groupe qui s'est formé au moment du départ n'a pas eu la patience d'atteindre l'entrée de l'immeuble pour médire à son propos, mais elle se fiche bien de ce qu'ils pensent ou disent.

Elle ne tolère plus leurs oublis, leur négligence, leurs erreurs. Ses longues années ne l'ont pas immunisé contre l'incompétence et la fainéantise. Au contraire,sa patience rudement mise à l'épreuve commence à s'effriter. Le masque commence à tomber. Elle en a marre de diminuerses attentes. "Revois tes critères à la baisse, soit plus tolérante, comprend que tout le monde n'est pas comme toi," disent-ils.Elle en marre de cesadministrationsqui reprochent à leurs salariésd'être perfectionnistestout en lesencourageant à l'être, surtout qu'elles ne se plaignent pas des résultats quand elles peuvent s'en servir pour frimer. Elle en a marre de se sentir coupable parce qu'elle veut bien faire, marrede devoir se mettre au niveau des paresseux et des laxistes.

Ellecherche constamment à s'améliorer. Elle apar exemple apprisà se mettre dans la peau des coupables. Après s'être imprégnée de la scène du crime et des circonstances que suggère la disposition du corps, l'arme du crime ou tout autre élément essentiel découvert sur les lieux, elle peut désormais ressentir le frisson qui les parcourt au moment du geste fatal, la montée d'adrénaline, les battements sourds de leur cœur, la froideur, le détachement ou la fureur qui les anime. Cette intimité qu'elle crée avec eux, l'aide à comprendre leurs motivations, à détecter plus facilement leurs erreurs. Elle accepte de perdre une partie de son âme, chaque fois pour la bonne cause.

"Madman" et Beronika ont été les derniers à quitter l'appartement. Quand elle l'a exhorté à rentrer chez lui, tandis qu'ils regagnaient l'entrée de l'immeuble, il n'a pas pu dissimuler son soulagement, car il s'inquiétait de se voir assigner une énième tâche, après le colossal travail abattu au cours des précédentes heures, sous les ordres de sa coéquipière plus maniaque que jamais, et il ne rêvait que d'une douche et de huit heures de sommeil sans interruption.

****

Une pluie fine commence à tomber, tandis qu'elle se traîne vers sa voiture pour se rendre à la brigade, située au 36, quai des Orfèvres. Le mal de tête dont elle souffre depuis plus de deux heures, ses yeux à vif qui menacent de sortir de leurs orbites et son corps douloureux font de chaque pas un défi. Elle y consacre un tel effort qu'elle a l'impression de marcher au ralenti. Quelques heures de sommeil lui auraient fait le plus grand bien,malheureusement l'expérience lui a appris que l'adrénaline et l'agitation sont les pires remèdes contre l'insomnie. Chez elle, elle passera le reste de la nuit à se tourner et se retourner dans son lit. Préférant s'éviter cette intense frustration, elle a donc décidé de profiter du calme qui règne dans les locaux de la brigade pendant la nuit pour rassembler ses idées et se faire une première opinion sur ce cas qu'elle pressent complexe. Les premiers indices soulèvent déjà de nombreuses questions auxquelles elle est impatiente d'apporter des réponses. Elle s'installe dans son véhicule, allume machinalement la radio et quand une bruyante musique de rap américain emplit l'habitacle, elle démarre le moteur.

Les rues de la capitale sont majoritairement désertes. À l'exception de quelques agents de la voirie et SDF, il n'y a pas âme qui vive. Le silence qu'elle perçoit à l'extérieur s'agite devant elle telleune étoffe rouge devant un taureau. À une intersection, elle s'arrête au feu rouge. Il brille d'une lueur aveuglante sous la pluie. Elle fixe les néons du regard, comme hypnotisée, tandis qu'ils changent de couleur passant du rouge, au vert, puis à l'orange et au rouge de nouveau. Ses pensées l'entraînent dans l'appartement qu'elle vient de quitter, faisant monter en elle, une brusque et explosive colère. Elle se rebelle contre cet acte cruel qui fait injustement d'une enfant, une orpheline et contre ses sentiments mitigés pour un possible suspect. Elle s'en veut de se sentir continuellement comme une moins que rien. Elle en a marre de la pluie, du froid, de la nuit noire, sans lune et surtout du silence. Le silence terrifiant et angoissant de sa vie morne et solitaire, si solitaire qu'en mourant à l'instant, elle ne manquerait à personne.

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