Chapitre 3 — DIMITRI
"Quand un cœur se brise"
Lundi 04 novembre 2013 — 02h00 du matin
Sous l'œil vigilant de son chaperon, Dimitri a téléphoné à sa sœur. Comme à son habitude, elle travaillait tard et a décroché à la première sonnerie. Ils se sont donné rendez-vous à son appartement situé à dix minutes de marche du sien. Pour justifier cette visite tardive, il a dit qu'il avait perdu ses clés et n'arrivait pas à joindre Caroline. Ellen'enapas cru un mot, il le sait, mais il s'est gardé de lui annoncer le décès de sa femme pour une raison simple. Dès qu'il l'en informera, le cauchemar deviendra réalité. Il n'y aura plus d'échappatoire ni l'espoir de se réveiller pour retrouver avec soulagement, sa vie comme elle l'était quelques heures auparavant. Il voulait faire durer l'illusion, le plus longtemps possible. En attendant l'arrivée de la police, trop chamboulé, déstabilisé par sa macabre découverte, il a oublié de prévenir sa belle-famille. Il n'a appelé personne. Il a raccroché et posé son front contre le mur. Être de nouveau le messager de la mort pesait lourd sur son cœur. Il a fermé les yeux et a ravalé ses larmes.
Il a été autorisé à retourner dans la chambre pour y prendre quelques vêtements et produits d'hygiène. Il est parti sans demander son reste en laissant derrière lui, le vacarme et l'incompréhension. Il est sorti avec soulagement dans la rue pour embrasser le froid particulièrement glacial de cette nuit d'hiver.Il a fait quelques pas avant de s'arrêter un instant pour prendre un grand bol d'air afin de libérer ses narines de l'odeur de sang qui semble s'y être incrustée après ces quelques heures passées à proximité du corps en décomposition de Caroline.
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Dimitri reprend lentement sa marche vers l'appartement de sa sœur. Il n'est pas pressé d'arriver. Il s'inquiète que sa prestation ratée du mari éploré ne fasse de lui, le principal suspect de la police. En dépit de ses efforts pour manifester bruyamment et avec conviction ses émotions, il sait qu'il a gravement failli à sa tâche. La détective l'a d'ailleurs souligné. Des années à négocier des contrats se chiffrant à des millions, à travailler sous une pression sans pitié, dans un environnement où la compétition est acharnée et avec des gens puissants à l'ego démesuré lui ont appris à garder son sang-froid en toutes circonstances. Il s'est complètement foiré. Ses propos n'ont nullement convaincu les enquêteurs, et il a fait une très mauvaise impression. Sa décision sera-t-elle jugée prématurée s'il faisait appel à un avocat ? Aura-t-il l'air coupable parce qu'il essaye de se défendre ? Il ne sait plus à quel saint se vouer.
Il n'en revient pas d'avoir menti. Il voulait dire la vérité, confesser l'état déplorable de ses relations avec Caroline ainsi que ses infidélités, mais quand les questions ont commencé à fuser, il l'a fait machinalement, sans réfléchir, car à force de les dire et de les répéter au cours des années, ses mensonges sont devenus sa vérité. Les fautes malencontreuses semblent être une constante dans sa vie. Il vient une fois encore, de se mettre dans un sacré pétrin. Lorsque les détectives perceront à jour ses mensonges — et ils le feront certainement, il ne doute pas un seul instant que sa duplicité donnera du fuel aux suspicions du lieutenant Delacre. Un manuel établissant les codes et postures à adopter quand on découvre le cadavre de sa femme pour éviter une attention soutenue de la police, lui aurait permis d'éviter toutes ces terribles erreurs. "Pourquoi, aucun auteur n'a-t-il jamais pensé à écrire un tel manifeste, en lieu et place de toutes les absurdités qui remplissent les rayons des librairies ?"
À cette inquiétante préoccupation, s'ajoute un troublant cas de conscience dû à l'étrange phénomène qui s'est produit quand sa main a touché celle du lieutenant. Il a reçu comme une salve en pleine figure. Cette surprenante réaction est un mystère qu'il ne peut s'empêcher malgré les déplorables circonstances, de se représenter comme une intéressante surprise. "Beronika," prononce-t-il à voix haute pour son propre plaisir, avec pour seuls témoins, les réverbères éclairant la riche noirceur de la nuit par intermittence. "Quel surprenant prénom,"se dit-il, mais un prénom insolite qui lui va comme un gant. En dépit de son expérience et des nombreuses relations qu'il a entretenues au cours des années, il n'a jamais ressenti un tel émoi ni pour ses précédentes partenaires ni pour Sophia. Même l'effervescence qu'il ressentait au début de sa relation avec Caroline, à l'époque où il l'aimait tellement que ses absences le privaient de souffle, pâlit en comparaison de l'agitation qu'a provoquée son premier contact physique avec le lieutenant Beronika.
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Les Infidèles
Misterio / SuspensoBeronika, l'une des meilleures enquêtrices de la police judiciaire de Paris, souffre depuis l'adolescence de troubles psychiatriques, aggravés par les relations difficiles avec son père, M. Delacre, directeur de la police judiciaire. Les maltraitanc...