Entretien avec Sophia Bukowski

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Chapitre 7 — BERONIKA

"Entretien avec Sophia Bukowski"

Mercredi 06 novembre 2013

Elle s'est allongée sur le lit pour se remettre de ses émotions. Une dizaine de minutes. Puis, elle prendrait une douche, dînerait et regarderait quelques épisodes de la série Dexter avant d'aller se coucher. Les dernières aventures du tueur en série à la double personnalité la tiennent en haleine. La fin approche à grands pas. Le mystère et le suspense restent pourtant entiers. La fin serait-elle dramatique ? Elle espère une conclusion tragiquement épique. Logiquement, tout devrait mal finir. Quelqu'un va mourir, quelqu'un doit mourir. Dexter ne peut pas s'en tirer à bon compte. Il a tué des centaines de personnes et fait quelques victimes innocentes. On ne devrait pas l'absoudre de ses crimes. Ce ne serait pas —

06h30. Elle se réveille en sursaut. Elle n'a pas bougé. Elle s'est endormie tout habillée. Elle a dormi comme une masse, sur le côté, sans changer de position pendant neuf heures d'affilée. Ça ne lui était pas arrivé depuis belle lurette. Elle regarde autour d'elle avec surprise et suspicion. Elle a l'impression d'avoir été assommée. Elle se redresse et s'assied sur le bord du lit. Elle s'étire en bâillant. Si son réveil ne s'était pas déclenché, elle serait restée au lit une bonne partie de la journée.

Elle s'attaque à la journée avec enthousiasme. Elle se sent bien. Les précédents jours, tout lui semblait irréel. À cause de l'épais brouillard qui l'enveloppait, elle a dû prétendre à une normalité de laquelle elle était déconnectée. Les ténèbres se sont dissipées. Elle retombe sur ses pieds. Elle se sent de nouveau, elle-même.

Elle déroule son rituel du matin en musique. Beyoncé et quelques vieux tubes des Destiny's Child pendant sa course. L'album éponyme de l'artiste qu'elle a illégalement téléchargé sur un site internet pirate est entraînant. Elle écoute la chanson "XO"à plusieurs reprises et se laisse même aller à quelques pas de danse après s'être assurée d'être seule. Elle danse en courant. Elle sourit en courant. Elle se sent forte, vivante, invincible. L'armure se remet en place, pièce par pièce, boulon par boulon. À la fin de sa course, elle s'installe sur un banc et profite de l'instant et de l'endroit. La vie est belle.

Sous la douche et en s'habillant, elle écoute l'album"Body Music" d'AlunaGeorge, un groupe anglais originaire de Londres. Elle change la litière et remplit la gamelle d'Hibiscus. Elle essaye de le câliner, mais le chat est plus teigneux que son maître. Il grogne et s'échappe. Elle quitte joyeusement son appartement.

09h00. Elle arrive à la brigade. D'abord, elle s'arrête dans le bureau de Frédéric pour l'inviter à boire un café, le breuvage indispensable à tout flic pour bien commencer la journée. Ensemble, ils se rendent à la cafétéria, bondée comme d'habitude à cette heure. L'humeur y est joviale et conviviale. Un observateur extérieur ne se douterait pas des défis que ces hommes et femmes, en uniforme ou en civil, doivent relever chaque jour.

Des collègues saluent brièvement Beronika. Ils ignorent Frédéric et ne se joignent pas à leur petit groupe. Elle est peinée de voir qu'ils le considèrent toujours comme la brebis galeuse. Les collègues ne lui reprochent pas d'avoir causé un esclandre, ils sont tous un peu sur les nerfs dans la profession. Ils ont la dent dure contre lui parce qu'il a bénéficié d'un traitement de faveur grâce à son père. Oui, il a été favorisé. Doit-il en payer le prix ? Elle ne le pense pas. S'ils s'étaient retrouvés dans la même situation, aucun d'eux n'aurait refusé l'aide d'un père, d'un oncle ou d'un ami ayant le bras long. Pourquoi lui reprocher de tirer profit des avantages qui lui ont été offerts par la vie ? Pourquoi devrait-il avoir honte d'être bien né ?

Frédéric, de son côté, ne fait aucun effort pour atténuer la rancœur ambiante. Il ignore les regards haineux que ses détracteurs lancent dans sa direction, et rend injure pour injure. Leur ressentiment ne semble pas le perturber. Quelle est la clé vers un tel détachement ? À l'exception de "Madman", les ennemis de Beronika avancent masqués. La jalousie ou la rancœur qu'ils éprouvent à son égard n'est pas visible, fort heureusement. Elle ne supporterait pas d'être émotionnellement rudoyée par la centaine de personnes avec lesquelles elle doit travailler quotidiennement. Elle aurait démissionné. La mort dans l'âme, certainement, mais elle aurait fui cet environnement négatif et malsain.

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