Chapitre un.

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Chapitre un
Mœurs. 

Cours. Cours. Cours. Cours, ne t'arrête jamais.
Cours. Cours. Cours. Cours, de tes jolies ailes.
Envole-toi, envole-toi loin.
Car ici-bas,
Le feu te brûlera.

Ma gorge est un désert de cendre. Mes poumons implorent grâce, mes pieds sont en sang. Je cours. Je cours jusqu'à ce que mon souffle se meure. L'herbe fouette mes mollets, les épines m'enlacent, la forêt se referme sur moi. J'étouffe le vent qui hurle sa hargne. J'ignore tout. Je ne regarde qu'une seule chose ; la lune.
Elle est si belle.

Spectatrice silencieuse, elle ne peut que me contempler. Jamais ses rayons ne brûleront les fils de l'histoire. Elle est déjà écrite à l'encre rouge. Nous le savons toutes les deux. Alors pourquoi ses perles d'argent tombent sur terre ? Illuminant ma route, elles éclatent au contact du sol. Leurs ombres dessinent un ballet qui m'invite à les suivre. Guidée par leur éclat spectral, je traverse les prairies humides, foule les brindilles et les fleurs fanées. Les rayons percent à travers bois et vallées, au-delà des montagnes hautes et des lacs. Elle murmure des mots doux, des hymnes d'un monde où la douleur n'existe pas.

Pourtant, elle est bien là.
Si réel à mon cœur.
Mes larmes écarlates palissent face à la lune.

Vole. Vole. Vole. Vole, ne te retourne jamais.
Vole. Vole. Vole. Vole, noble dragon.
Cherche ton salut, cherche ta liberté.
Car en ces terres,
Les ombres te dévoreront.

Mon cœur se déchaîne, battant avec une ferveur qui remplit la forêt de son écho. S'agit-il du ronflement de mon sang dans mes oreilles ou...
Un craquement.
Derrière moi, une branche se brise.

Je m'arrête. Aussi discrète que possible, je me tourne. Mon dos se raidit, j'attrape mon sabre, seul vestige de ma vie éclipsée. Mes yeux se plissent... je ne vois rien. L'arme pressée contre ma poitrine, je glisse sur le côté, cherchant une présence dans l'obscurité. Mes mains sont moites, je résiste à l'envie de les essuyer.

Un souffle. Un souffle qui n'est pas le mien. Il est là, quelque part, avec moi. Je retiens ma respiration, attentive, comme l'a enseigné ma mère. La lune, ma fidèle compagne, filtre à travers les feuilles. Elle éclaire faiblement la scène : la terre et le ciel s'écartent pour révéler une forme sombre, qui se fond dans les arbres. Mes doigts se crispent sur mon sabre, blanchissant sous la pression. L'ombre s'approche, engloutit la lumière. Dans le noir, deux gemmes d'or me scrutent. Des canines luisent d'argent.

Je suis face à un gigantesque loup !
Un de ceux qui n'existent que dans les légendes et les contes de fées. Le loup qui dévore le monde. Celui destiné à m'arracher le cœur.

Je ne bouge pas. Je ne peux pas. Mon arme est ma seule défense, un mince fil d'acier entre la vie et la mort. Ses yeux étoilés suivent chacun de mes gestes. La bête contemple ma poitrine secouée de spasmes. Elle se délecte de mes déglutitions, de cette brume épaisse qui entoure mon corps. Ça suinte la peur.
Le loup s'élance ! La lame rencontre la fourrure. L'odeur de la terre est souillée de fer... Je titube, le loup attaque de nouveau ! Je ferme les yeux, brandis l'arme et... !

J'ai manqué le cœur !

J'évite de justesse ses griffes avant de m'effondrer. Mon arme roule dans l'herbe, loin, très loin. Le loup grogne. Les larmes montent. Non. Non ! Il bondit sur moi. Il installe son poids sur mes épaules. Sa gueule pend à quelques centimètres de mon visage. Ses crocs dégoulinent de bave. J'ai un haut-le-cœur.
Par tous les dieux. Pitié.
Quelque chose frappe ma joue.
Visqueux, froid et sale.
Sa langue.

Le feu brûle en moi. Mes poumons vont imploser ! Je vais mourir, je vais mourir ! Je ne veux pas, je veux vivre, je, je, je n'arrive plus à respirer, le froid m'engourdit ! Son odeur est si forte, je ne peux rien faire. Rien faire. Rien.

Meurs. Meurs. Meurs.
Car telle est ta destinée.
Oiseau de malheur.

DragonneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant