Chapitre sept.

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Chapitre sept
Forêt de membre. 

Le lendemain, l'aube m'accueille. Les rideaux ont été ouverts en grand, le soleil s'invite dans ma chambre. Je plisse les yeux, irritée par l'éclat soudain et grimace en me redressant. La chaise est là, stationnée comme un char funèbre près du lit. Je me saisis du thé et laisse le livre d'oncle Ruel sur la table basse. J'en suis déjà à plus de la moitié et l'aurait sans doute fini si la journée d'hier ne m'avait pas laissé aussi... morose.

Aujourd'hui, le village accueille l'Empereur. L'idée même fait battre ma poitrine de manière irrégulière. Pour noyer le chagrin, je boit la tasse. Le liquide coule dans mon œsophage pendant que je contemple la fenêtre. Seraphina sourit, les mains occupées à plier une robe.

— Bonjour, dit-elle en posant le vêtement sur la couette, là où mes jambes sont enterrées.

Je bats des paupières pour lui répondre. Ses lèvres s'étirent, plus si encore.

— J'ai fait couler un bain, pour toi.

Un bain... Petite, j'en prenais très souvent avec ma mère. Elle me lavait les cheveux pendant que je m'amusais avec l'eau. Je me retournais vers son visage d'ange et l'entourait de bulles. Son rire rayonnait à travers la vapeur. Son cœur battait contre le mien.

Seraphina me regarde avec espoir. Je me contente de la fixer, incapable de lui offrir une once de réconfort. Elle soupire doucement, la déception voile ses yeux azur. Elle sort de la chambre. Oh... Je pensais qu'elle allait rester. Nous n'avons pas encore pris notre petit déjeuner, et... ! J'entends l'eau qui coule, le clapotis contre la porcelaine. Elle prépare le bain. Elle ne m'a pas abandonné.
Je l'attend sagement, un petit rictus joyeux peint mon visage. Quelques minutes plus tard, elle revient, les cheveux attachés, les manches remontées. Ses bras me transfèrent sur ce morceau échoué de ma prison.

Les roues rongent le parquet avant de buter sur du carrelage. La salle d'eau est très belle, à l'image de Seraphina. Les murs sont d'un rose presque blanc, des plantes sont accrochés ici et là. Elle me gare près du bain et me laisse un peu d'intimité. Je n'ai pas grand chose sur moi, juste une tunique blanche. Seraphina me l'a donné à mon Grand Réveil. Mes vêtements étaient en lambeaux... À mon grand regret je n'ai jamais revu mon arme. Celle que ma mère m'a légué. Celle qui a servi à tuer...

J'entre dans l'eau (aidée de Seraphina). Des pétales violettes flottent à la surface, des bulles se forment au creux de mes mains. Mes bras endolories frissonnent à chaque vaguelette. C'est si chaud, si agréable... dommage que la sensation s'arrête à mes reins. Mes jambes sont deux statues froides que rien ne pénètre. Le bandage autour de ma cuisse est complètement immergé. Je le retire, plus pour voir ce magnifique tableau que pour soulager ma chair. Les marques ressemblent à une constellation sur ma peau pâle, un récit de cicatrices et de batailles perdues. La mer les engloutit, les transforme en une tache floue.

— L'Empereur est arrivé tôt ce matin, explique Seraphina en prenant une éponge. Les rumeurs courent qu'un grand défilé aura lieu !

L'Empereur. Un énième fragment auquel je n'appartiens plus. J'ai le réflexe de ramener mes genoux contre moi... seul le vent caresse ma poitrine.

— Il paraît, continue-t-elle, que l'Empereur va annoncer une grande victoire. Quelque chose qui pourrait changer le cours de nos vies.

Je me fige. Une grande victoire. Voilà des années que le peuple attend. Non, nous ne sommes pas en guerre. La faim est un fléau bien pire. Le conflit qui déchira le royaume pendant une centaine d'années, a beau avoir pris fin récemment, les cicatrices laissées sont profondes. Pas seulement dans la terre, mais aussi dans le cœur des gens. L'Empire Kuro, jadis florissant, est maintenant un paysage de désolation où la famine et le désespoir règnent en maîtres.

DragonneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant