Chapitre deux.

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Chapitre deux
Anathème de l'ankylose.

La colombe s'envole. Son plumage immaculé tranche l'azur, ses longues ailes embrassent le jardin. Elle est la beauté dans sa forme la plus éthérée, la liberté pure.
Elle est l'antithèse de mon existence.

Mes yeux la suivent, prisonniers derrière une vitre. Cette barrière invisible que je contemple depuis des jours maintenant. Clouée dans le lit, je suis réduite à une ombre de moi-même, entravée, incapable de franchir le seuil de sa chambre. Comment espérer courir ou voler ? C'est impossible !

Mes doigts se crispent sur le drap, pianotant sur mon ventre en un rythme désespéré. Lorsqu'ils glissent vers le bas, un frisson me parcourt. Au sommet de mes cuisses, les spasmes s'éteignent. Un ongle s'enfonce dans la chair sans vie. Mes jambes ne le sentent pas. Elles ne sentent plus rien. J'en viens à me demander si un jour, elles ont ressenti une étreinte... Je ne le serais sans doute pas.
Le soleil avale la lune, les fleurs pourrissent, les rivières coulent et je reste là. Allongée dans ce lit à fixer la fenêtre. Je revis la même journée en boucle. Encore et encore.

Dans quelques secondes, on toquera à la porte. Sa petite voix m'appellera, et enfin, elle apparaîtra. Une tasse de thé en main -à la lavande-, elle me demandera si je vais bien. Je ne répondrai pas. Je ne réponds jamais. À quoi bon ? Les mots sont devenus aussi inutiles que mes jambes. Elle posera la tasse sur la table de chevet, un sourire ourlant ses lèvres. Elle s'assiéra à côté de moi et prendra mes mains avec entrain. Elle parlera de tout et de rien. De la pluie et du beau temps, des nouvelles du village, des histoires qu'elle a entendues. Elle essaiera de faire naître un sourire sur mon visage.

Je reste de marbre. Ma bienfaitrice soupire, résignée, un phénomène rare. Depuis mon éveil, elle n'a montré que de l'enthousiasme. Il faut croire que même le plus bel ange chute. La tasse refroidit entre ses mains. Elle est vide. J'ai bu jusqu'à la dernière goutte de ce breuvage. L'ange se lève, essuie une larme furtive et fuit, loin. Oh, j'aimerais tant la suivre, courir au grand air avec elle. C'est la seule chose que je désire...

Mais le lendemain, je suis toujours ici. Dans ce lit, devant la fenêtre impitoyable.

La colombe est là aussi. Fidèle sentinelle. Et bien sûr, mon ange gardien, Seraphina. Elle me raconte sa journée, ses longues péripéties. De mon côté, je finis mon thé. Le goût sucré goule doucement dans ma gorge. Je repose la porcelaine sur la table à côté du lit et me tourne. Seraphina à les mains jointes et les cils clos. Ses lèvres tremblent, mes sourcils se froncent. C'est l'heure de la prière... J'entrelace mes doigts et ferme les yeux.

— Dieu tout-puissant, baigne-nous de ta lumière divine. Que ton nom soit sanctifié et que ton règne guide nos pas à travers l'Empereur. Unis, puissiez-vous nous montrer le droit chemin, nous, pécheurs égarés... psalmodie Seraphina.

Elle prie pour moi, pour nous. Pour un miracle que je ne crois plus possible. Avant je priais chaque soir. Je remerciait Dieu et l'Empereur pour l'amour et la beauté du monde. Maintenant... Mon cœur se serre à chaque louange.
Je risque un œil entrouvert, Seraphina me sourit. Elle emporte ma tasse et s'éclipse de la chambre. Seule, je contemple les murs, les étagères. Je les ai toutes contemplées un nombre incalculable de fois. La plus haute regorge de livres, la suivante est vide et la plus basse arbore des fleurs. Mortes. Ça fait longtemps que leurs tiges ont rendu l'âme. Quand mes yeux achèvent leur pénitence, je m'enfouis sous les draps. Ma respiration ralentit, mes muscles se relâchent.

Au lever de l'aube, les rideaux sont tirés. Une effluve de lavande caresse l'air. Je me redresse, et une chevelure blanche surgit, comme chaque jour.

— Bon matin !

DragonneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant