Dragonne

Chapitre quatre.

Chapitre quatre
Le renard qui cherchait le monde.

Le cri résonne encore dans mes oreilles. Un cri de terreur. Le mien. Je tremble, les yeux écarquillés, sur le chien. Sur le loup. La foule murmure autour de moi, leurs voix ne sont que des vagues lointaines. Je ne les entends pas. Je ne vois qu'eux, ses yeux jaunes qui me scrutent. Ces crocs reluisants. Ces griffes acérées. La mort.

Seraphina se tient à ma gauche. Sa peur empeste le marché et me pique les yeux. Je veux rentrer. Je veux mon lit. Je veux le hurler. Mais aucun son ne s'échappe de moi. Ma voix est scellée. Je suis paralysée alors que la bête se rapproche. Ses longues oreilles s'inclinent en fonction de ma respiration. Ses iris fixent mon cœur affolé. Je déglutis, plusieurs fois, cligne des cils, à mainte reprise, peu importe ce que je fais, le cauchemar ne disparaît pas ! Alors j'attrape la seule chose à ma portée ; la main de l'ange. Je serre. Je broie l'os. Seraphina sursaute. Son regard se pose sur moi, puis sur lui. Le moment me semble durer une éternité, elle qui sait toujours quoi dire, pourquoi se tait-elle ?! Parle, parle, parle !

— Rentrons, dit-elle enfin !

Ses mots n'ont jamais été d'un tel réconfort. Elle se penche, ses mains manœuvrent la chaise. Oncle Ruel lui chuchote à l'oreille, je suis trop basse pour entendre. Le chien, le loup, l'ombre qui capture mes nuits, reste là. Ses yeux vitreux s'accrochent à mon âme. Son odeur de rance me donne le tournis.
Le peuple, qui n'a pas loupé une miette du spectacle, s'ouvre pour moi. C'est un chemin de regards et de murmures. Je sens une pitié dégoûtante, une incompréhension émaner d'eux. Je suis l'étrangère, celle qui ne peut marcher. Sur leur visage, je vois aussi une étincelle. Une question silencieuse. Qui suis-je vraiment ?

Je ne le sais plus...

Le chemin du retour s'étire, interminable. Je jette des regards en arrière, tends l'oreille, surveille même Seraphina. Elle ne parle pas, elle pousse juste. Est-elle déçue qu'on soit parti si vite ? Elle avait l'air de bien s'amuser là-bas... Et moi, j'ai tout gâché. Encore une fois.

Nous arrivons au portillon de la maison. Il ne reste plus que le jardin à traverser. Le soleil s'est couché, il a perdu ses belles lumières. C'est une forêt terne désormais. Dès que la porte d'entrée claque derrière nous, mes épaules se détendent. Je peux à nouveau respirer. Je suis ici. En sécurité. Il ne manque plus qu'elle...

Seraphina me conduit jusqu'à la chambre. À ma grande surprise, j'ai hâte de retrouver mon lit. Transféré dessus, enveloppé sous les couettes, je jure de ne jamais en ressortir. Je suis bien dans l'obscurité. Seraphina s'agenouille à mes côtés, les coudes sur le lit. Ses doigts se lient, ses lèvres se scellent. Elle prie. Sans moi. Mon cœur est trop lourd pour espérer être apaisé avec de simples paroles. Je préfère l'observer. C'est plus... reposant.

— Tu veux que je reste avec toi ? son ton est hésitant, ses yeux ne me regardent pas.

Elle attend de longues minutes ma réponse. Dieu ne lui en accorde aucune. Ses talons tournent sur le parquet, emportant la chaise avec elle. Tant mieux. Je ne veux plus la voir.

La nuit tombe, sans lune. Ça fait un moment qu'elle m'a abandonné... Les ténèbres m'entourent, me bercent, mais ne m'apaisent pas. Mon esprit est un tourbillon de pensées, de souvenirs, de regrets. La lune. Elle me manque tellement.

Je repense à ce jour. Le Premier d'une longue série. Le ciel pleurait, l'orage grondait et la lune était absente. Je gisais, inanimée, au milieu de la forêt. Le sang séché collait ma peau, mes cheveux emmêlés cachaient mon visage. Je n'étais plus qu'une silhouette brisée, un oiseau aux ailes déchirées.
Un visage, aussi beau et lumineux que celui d'un ange, est apparu au-dessus de moi. Seraphina. Avec une délicatesse surprenante, elle m'a soulevée entre ses bras frêles. Je me souviens du doux parfum de lavande qui émanait d'elle, contrastant avec l'odeur âcre de la mort.