Chapitre 2

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Nous arrivons au Paradis toujours bras dessus bras dessous.

Comme toute veille de week-end qui se respecte, l'endroit est bondé. Nul endroit où s'asseoir. D'ailleurs la plupart des gens se tassent un peu partout en groupes compacts rendant notre passage un peu difficile, surtout pour moi qui suis fluette et pas bien grande. Ça rit, ça crie, ça s'apostrophe, ça gesticule et ça danse. Un vendredi soir normal au Paradis en somme.

Luka me prend fermement la main et fend la foule en écartant les joyeux fêtards déjà bien alcoolisés, tout en gardant figé sur ses lèvres un sourire poli pour ne froisser personne.

On aperçoit soudain des visages bien connus.

Tom, l'ami d'enfance de Luka, parfois un peu trop bavard et taquin, surtout quand il a bu. Aussitôt en voyant ses deux petits yeux enfoncés, d'un bleu vif, perdus au milieu de sa barbe et de ses cheveux, je me dis qu'il aurait bien besoin d'un rasoir et d'une bonne coupe. Il suffit de le regarder deux secondes pour comprendre qu'il est en plein chagrin d'amour. Tom est un cœur d'artichaut, il s'emballe dès le premier regard, dès le premier signe d'encouragement et fait tout ce qui est en son pouvoir pour gagner ou garder l'objet de son désir. On peut même dire qu'il en fait souvent trop. Je ne compte plus les filles qui l'ont quitté du jour au lendemain, certaines excédées par ses attentions oppressantes, certaines le laissant pour un autre garçon après avoir profité d'un beau voyage ou de cadeaux coûteux.

Mallaury, sa soeur jumelle, le tient par le cou. Elle a la même tignasse vaguement blonde, les mêmes yeux bleus, le même petit nez épaté et un rire tout aussi communicatif. Elle aime son frère plus que quiconque, c'est une évidence. Si ça ne tenait qu'à elle, Mallaury irait cogner sur toutes les filles qui ont brisé le cœur de Tom.

Ilan est là aussi. Ses cheveux d'ébène sont tirés en arrière en une queue de cheval mais quelques mèches ondulées lui tombent sur les tempes, encadrant son regard sombre. Sa barbe soignée, sa peau matte et sa chemise bien cintrée lui donnent un air très chic. Il ne parle jamais beaucoup, mais j'aime son silence et le sourire qui flotte toujours sur ses lèvres. Pour avoir discuté seul à seule avec lui quelquefois, je sais qu'il peut se montrer plus loquace qu'on ne pourrait le croire sur certains sujets. Je ne crois pas qu'il soit timide, juste qu'il n'aime pas parler pour rien dire. L'extrême opposé de son copain Tom.

Luka se détache de moi et se penche vers ce dernier pour échanger quelques mots que je n'entends pas avec tout le vacarme alentour.

Un bras s'enroule soudain autour de ma taille. Je me raidis.

Est-ce le moment où je dois me retourner et envoyer mon poing dans la figure d'un malotru?

Un petit rire cristallin que je reconnais aussitôt résonne dans mon oreille et me tranquillise.

- Sam!!

Je me jette au cou d'une fille à la crinière d'un rouge flamboyant. Elle me serre contre elle en continuant de rire avec cette petite voix claire et légère qui me remplit toujours d'entrain.

- Je ne pensais pas te voir ce soir mais qu'est-ce que je suis contente que tu sois là! S'exclame t-elle.

Elle me sourit. Ses petites dents blanches et pointues brillent comme de la nacre entre ses lèvres ourlées d'un prune sombre, presque noir.

- Tu as amené ton chevalier servant? Minaude t-elle.

Lors de notre première rencontre, Samantha croyait que Luka était mon petit-ami et j'avoue ne pas l'avoir détrompée immédiatement. Depuis elle ne cesse de me répéter que ce n'est qu'une question de temps et qu'aucun garçon n'est aussi prévenant avec une fille sans raison.

- C'est plutôt lui qui m'a traîné jusqu'ici.

- Je parie que tu avais prévu de passer une soirée de mémère sous ton plaid avec une bonne tasse de thé et un vieux film, dit-elle en fronçant son petit nez mutin, sur le ton de la confidence.

- Tu la connais trop bien, me coupe Luka surgissant derrière moi, alors que j'ouvrais la bouche pour répondre.

Il me tend une pinte de bière.

- Une pinte? Carrément?!

- Tu es trop calme mémère! Me nargue t-il avec un sourire espiègle.

Deux adorables petites fossettes se creusent dans ses joues. Heureusement dans la pénombre du bar il y a peu de risques qu'il ait vu mon visage s'empourprer une fois de plus. Je fais mine de bouder. Il m'attire contre lui en prenant garde à ne pas renverser la pinte que j'ai oublié tenir dans ma main, bien que mon poignet commence déjà à bien me faire souffrir.

Je vois Sam se placer derrière lui et faire mine de ricaner silencieusement, puis s'éclipser après un petit clin d'œil complice.

Luka m'agrippe soudain le cou et pendant une seconde je crois bêtement qu'il va m'embrasser, mais évidemment il n'en est rien. Il colle sa bouche contre mon oreille et prononce quelques mots d'une voix basse mais claire.

"Le sais-tu Petit-Ange, combien cette vision

Me comble et me punit tant que, fais attention

Je pourrais en perdre l'esprit, mais mon cœur est

Empli et délirant, ni sûr de lui, ni prêt..."

Il prend ma bière et la pose sur la table la plus proche. M'attrape par la taille. J'aime tant l'entendre réciter ses vers. J'appuie ma tête sur son épaule pour écouter la suite.

"C'est moi la Folie, le Doux-Dingue, le Paumé

Mais je sais d'une certitude désarmée

Que je dois continuer à marcher avec bruit

Sans étouffer la hâte de mes pas qui fuient

Et même si j'ai peur des chemins de traverse

Même si tu sais, l'obscurité m'oppresse

Parmi les néons mornes et artificiels

Ta flamme suffit à éclairer mon ciel

Oui la pénombre aussi se meurt quand je te vois

La seule, la seule et nulle autre que toi..." 

IndicibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant